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REVUE. — CHRONIQUE.

nistre annoncer que le pouvoir abandonnait moins que jamais le projet des forts détachés, et que la chose étant utile et bonne, il allait s’y livrer avec ardeur. Nullement. Il a annoncé à la chambre que le gouvernement attendrait un temps plus favorable. Nous savons, en effet, que le général Bernard, chargé de la levée des forts, a reçu l’ordre de remettre les plans dans ses cartons jusqu’au printemps prochain. Mais on ne peut douter que ces travaux ne soient repris quelque jour, car le haut personnage qui les a conçus, les regarde comme la condition sine qua non de l’affermissement de son pouvoir et de sa sécurité.

Quant à M. Persil, l’ennemi personnel des jurés, comme M. de Saint-Chamans, qui, sous la restauration, s’était déclaré l’ennemi personnel des épiciers, M. Guizot n’a pas hésité à en faire le sacrifice. Le ministère, qui a fait hautement soutenir, par le Journal des Débats, les idées de M. Persil sur le jury ; le ministère, qui a porté M. Persil à la vice-présidence ; le ministère, à qui M. Persil communique tous ses actes d’accusation, ne partage pas le moins du monde ses opinions. M. Persil est un avocat qui exagère comme tous les avocats, a dit poliment M. Guizot. Quand M. Persil déclare, en pleine cour royale, que le roi doit gouverner et administrer, que l’illégalité est souvent indispensable, que le jury, tel qu’il est, est une institution dangereuse ; quand il demande les têtes de vingt accusés contre lesquels on ne peut trouver une seule charge un peu fondée, il faut le laisser dire et le laisser faire, M. Persil, exagère. Quand M. Persil s’écrie : « Guerre à mort à ceux qui abusent de la liberté, » c’est, selon M. Guizot, une figure de langage, un mythe, une fiction. Peu s’en faut que le ministre ne fasse du procureur-général un poète à qui il faut passer ses écarts d’imagination, mais un poète tragique de l’école de M. Hugo, qui ne manque jamais d’appeler le bourreau au cinquième acte.

Malheureusement pour le ministère, M. Guizot ne s’est pas montré aussi prudent, et de composition aussi facile, en ce qui touche son principe de quasi-légitimité. Il faut admirer la persévérance avec laquelle M. Guizot cherche à établir ce dogme. Dans chaque session, il le développe et l’étend avec un nouveau courage. Ce sont ses forts détachés à lui ; il n’y a pas de sauvegarde pour sa royauté sans ce principe. Sous les règnes de Charles x et de Louis xviii, M. Guizot et ses amis avaient placé cette haute puissance de conservation dans la légitimité, sans laquelle le pays tout entier devait s’écrouler. Une autre royauté étant devenue possible, en dépit de ces prédictions, le dogme a été transporté à la royauté nouvelle, car ce qu’on veut avant tout, c’est anéantir le dangereux principe de la souveraineté populaire, qui oblige les souverains