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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

d’hui encore il produit la même impression d’étonnement et d’extase.

Buonarroti partit pour Carrare afin de présider lui-même à l’extraction du marbre. Les blocs, amenés à Rome, surprirent tout le monde par leur masse prodigieuse.

Une si haute faveur et la fortune glorieuse qui semblait s’offrir à l’élève de Ghirlandaio réveillèrent l’envie et l’animosité de ses ennemis. Bramante surtout fut cruellement blessé de la décision du pape. Il n’était pas seulement jaloux du mérite de Michel-Ange. Il craignait aussi la censure de son austère probité. Pour suffire à ses prodigalités désordonnées, il s’était rendu coupable de malversations scandaleuses. Plusieurs fois il avait été forcé d’étayer des constructions commencées depuis quelques mois à peine. Il employait à ses travaux des matériaux de mauvaise qualité. Après avoir inutilement suscité des obstacles sans nombre à celui qui menaçait de lui ravir l’amitié de Jules ii, il finit par insinuer que ce projet de monument était de mauvais augure pour la longévité de S. S. Il réussit à refroidir le pape. Michel-Ange s’en aperçut bientôt. Un jour qu’il était allé demander à son protecteur le remboursement d’une somme avancée par lui pour le transport de ses marbres, il ne fut pas reçu. Sur-le-champ il retourne chez lui, ordonne à son domestique de vendre ses meubles et part pour Florence.

À peine a-t-il touché le territoire toscan que le pape dépêche à sa poursuite cinq courriers chargés des lettres les plus pressantes, et lui ordonne de revenir à Rome. Les menaces et les prières ne servent de rien, il répond que S. S. n’a qu’à choisir un sculpteur dont le service lui soit plus agréable que le sien, et qui s’accommode des dédains qu’il ne peut supporter. Dans l’espace de trois mois, Jules ii adressa au sénat de Florence trois brefs menaçans pour obtenir le retour de Michel-Ange. Pierre Soderini, alors gonfalonier de la république, avait profité de ce démêlé pour confier à l’artiste la décoration de la salle du conseil. Ce fut à cette occasion que Buonarroti composa le fameux carton de la guerre des Pisans, pour lutter avec une composition de Léonard. De ce morceau, que le temps nous a envié, déchiré, à ce que disent quelques historiens, par ses ennemis, partagé, selon d’autres, en lambeaux par ses nombreux admirateurs, nous ne connaissons que deux