Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
REVUE DES DEUX MONDES.

fragmens gravés par Marc-Antoine. Mais c’est assez pour justifier les regrets de ses contemporains. Enfin, cédant aux menaces de Jules ii, Soderini enjoignit à Michel-Ange de retourner à Rome. Michel-Ange résistait et allait passer en Turquie sur l’invitation du grand seigneur qui voulait lui demander un pont de communication de Constantinople à Péra, lorsque le sénat réussit enfin à triompher de son obstination en le nommant ambassadeur auprès de S. S.

Jules ii se trouvait alors à Bologne. Soderini fut chargé de présenter au pape l’artiste repentant. Au lieu de venir à nous, lui dit Jules en colère, tu as attendu que nous allions au-devant de toi. Michel-Ange s’excusait de son mieux, lorsqu’un des évêques présens à l’audience entreprit sa justification, en remontrant au pape que les artistes étaient d’ordinaire mal élevés, ignorans des convenances, étrangers aux habitudes d’une société délicate et choisie. — Taisez-vous, lui dit Jules en le frappant de sa béquille, je vous trouve hardi de faire à un pareil homme, en notre présence, des reproches qui sont loin de notre pensée. Ignorant vous-même, maladroit, sortez à l’instant. Pour témoigner à Michel-Ange son oubli du passé, Jules ii lui commanda sa statue colossale en bronze qui devait être placée au frontispice de St.-Petrone de Bologne.

Que lui mettrons-nous dans cette main ? demanda l’artiste au pape qui était venu voir le modèle. Un livre ? — Non pas ; une épée plutôt. Je la sais mieux manier. Et que fait cette main ? Bénit-elle ? Maudit-elle ? — Elle menace Bologne et l’avertit de vous être fidèle.

La statue fut achevée. Mais les Bentivogli rentrèrent à Bologne et le peuple renversa l’image victorieuse. Le duc de Ferrare, Alphonse d’Est, acheta le bronze et en fit une pièce d’artillerie qu’il nomma la Julienne. La tête seule fut conservée.

De retour à Rome, Jules ii voulut employer Michel-Ange à peindre la chapelle de Sixte iv. Bramante, qui avait produit Raphaël à la cour pontificale et qui voulait avoir la direction souveraine de tous les travaux d’architecture et de décoration, avait suggéré ce projet au pape dans l’espérance que son rival, forcé à un travail dont il avait depuis long-temps perdu l’habitude, et mis en parallèle avec Raphaël, perdrait sans retour la faveur de Jules ii, et qu’après cette épreuve injurieuse il n’y aurait plus à revenir au