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était-ce en mémoire de cette magnifique vision si tôt effacée qu’il gourmandait son génie impuissant à le consoler ?

Redemandait-il à Dieu une ame généreuse et grande où se reposer de sa gloire ? Se plaignait-il, comme le législateur hébreu, de la solitude puissante et morne de son génie ? Ce bonheur qu’il appelait de ses vœux, n’était-ce pas de réfléchir, sur un nom qu’il n’osait rappeler, les splendides rayons de sa renommée ? Ah ! sans doute il ne se défiait pas de sa gloire, mais il se plaignait à Dieu d’être seul.

Dans ses fréquens accens de tristesse, il se plaisait à couvrir de dessins lugubres les marges de la Divine Comédie. Il suivait à la trace l’austère imagination d’Alighieri. Le temps nous a envié ces précieuses improvisations. L’exemplaire qu’il avait orné de ses compositions a péri malheureusement dans le naufrage d’un navire qui allait de Livourne à Cività-Vecchia.

Michel-Ange était recherché des grands, mais fuyait volontiers leur société ; il compta parmi ses amis les plus illustres personnages de son temps, et surtout quelques-uns de ses élèves tels que Rosso, Daniel de Volterre, Pontormo, Vasari. Parfois il se plaisait dans la société d’artistes médiocres, comme Menighella et Topolino, faiseurs et vendeurs d’images.

À 85 ans, il perdit un fidèle serviteur, appelé Urbain, qu’il avait près de lui depuis le siège de Florence. Voici ce qu’il écrivait à Vasari en réponse aux consolations que son élève lui avait envoyées.

« Messire George, mon ami, je ne puis que vous écrire mal ; cependant il faut que je vous réponde. Vous savez comment Urbain est mort. C’est pour moi une faveur de Dieu, en même temps que le plus grand des malheurs : une faveur, puisque l’exemple que j’ai reçu en voyant mourir un si honnête homme, m’apprend, non pas seulement à mourir, mais à désirer la mort. Il fallait après vingt-six années me voir séparé d’un serviteur si rare et si fidèle. Avec quel plaisir je l’avais enrichi ! et quelle était ma joie de penser qu’il serait le soutien de ma vieillesse ! Maintenant je n’ai plus d’autre espoir que de le revoir dans l’autre vie. J’ai un gage de son bonheur dans la manière dont je l’ai vu mourir. Ce qui affligeait mon Urbain, ce n’était pas de cesser de vivre, c’était de me laisser dans mes infirmités au milieu d’un monde méchant et trompeur. Il