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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

plusieurs leçons très éloquentes sur l’expression religieuse et sur les convenances du christianisme dans la sculpture. Le professeur, après avoir reconnu dans la tête de ce morceau la résignation et la souffrance, blâmerait sans doute, au nom de saint Luc ou de saint Mathieu, l’élégance mondaine et la profane santé du torse et des jambes. Sans doute, si Condivi l’en eût pressé, Michel-Ange ne se fût pas fait faute d’une nouvelle exégèse. Il aurait pu répondre à son auditeur officieux que la douleur, chez le sauveur du monde, n’excluait pas la beauté ; peut-être bien qu’en feuilletant les pères de l’église il eût trouvé des textes favorables à son opinion. Mais ce qui démontre surabondamment que Michel-Ange, en traitant le Christ dans le style de l’antiquité païenne, n’agissait pas à l’étourdie, c’est qu’il a fait pour la chapelle sépulcrale des Medici une autre pieta, placée entre les deux mausolées, qui ne laisse rien à désirer aux casuistes les plus scrupuleux. L’âge de l’enfant et celui de la mère s’accordent sans difficulté. D’ailleurs Antonio Salamanca nous a conservé deux dessins faits pour Vittoria Colonna, un Christ en croix et une Descente de croix, où les traditions chrétiennes ne pourraient rien reprendre. Deux autres dessins, le Christ mort et le Christ flagellé, composés par Michel-Ange, et confiés au pinceau de Sebastiano del Piombo, compléteraient encore notre pensée, s’il en était besoin.

Mais le chef d’œuvre statuaire de Michel-Ange, ce qui le place dans l’art moderne au même rang que Phidias dans l’art antique, c’est la statue de Moïse, l’une de celles du tombeau de Jules ii ; des quarante figures projetées pour ce magnifique mausolée, il n’y a eu d’exécutées qu’une Victoire, qui est à Florence, deux captifs, que nous avons au musée d’Angoulême, et le Moïse qui se voit à Saint-Pierre-aux-Liens. J’ai vu de ce morceau un beau dessin rapporté de Rome, dans les cartons de M. Chaponnière.

Je ne veux pas m’arrêter à relever les critiques mesquines adressées au Moïse depuis deux siècles. Je reconnais volontiers que la statue, très belle dans l’état où nous la voyons aujourd’hui, n’eût pas été plus mauvaise si Michel-Ange avait consenti à couvrir cette figure du costume hébraïque. Mais après cet aveu, qui, à la réflexion, n’a pas grande importance, il faut dire que l’impression générale produite par ce morceau est un mélange de tristesse et