front sont-elles demeurées après les épreuves tumultueuses comme le limon et le gravier après les flots fangeux ? A-t-il vécu avant de savoir ? N’est-il pas sorti des mains de Dieu plein de sagesse et d’années ?
La tristesse empreinte sur ses traits n’est pas, comme chez les vieillards humains, le regret des facultés éteintes, la jalousie impuissante des joies qui échappent au sang attiédi, l’amère et injuste satire de la jeunesse agile qui demeure ; non : c’est la science qui s’interroge, qui voudrait corriger les choses mauvaises et qui ne le peut ; c’est le sage assis au port qui voit les voiles englouties sous l’écume blanchissante, qui fait signe au pilote égaré, et qui gémit sur l’inévitable naufrage ; c’est le génie contemporain de plusieurs générations, qui espérait de jour en jour que les fautes des ancêtres, semées dans le malheur et la désolation, mûriraient, chez la postérité plus docile, en prévoyance et en piété, et qui s’afflige de son espoir déçu.
Où Michel-Ange a-t-il pris la divine figure de son Moïse ? où s’est-il inspiré ? Est-ce dans la lecture de l’Exode ? Mais comment s’est donc perdu le sens de ce beau livre ? Avec quels yeux, avec quelles pensées l’élève de Ghirlandaio lisait-il le Pentateuque ? Y avait-il dans sa vie un secret que nous ne savons pas ? Dans ses promenades solitaires, dans ses longues nuits sans sommeil, a-t-il eu des visions ignorées de son siècle, et qui lui apprenaient à le dominer ? Questions folles et sombres ! Études obscures et sans issue ! Il a vu de bonne heure que la vie réelle ne valait rien, il s’est retiré du bruit et des vaines paroles pour s’abriter dans les loisirs laborieux et les paisibles méditations ; en se souvenant, il a deviné. Un jour, las de savoir, il a voulu, et sous sa volonté puissante le marbre est devenu Moïse, comme le gland devient chêne sous le soleil et la rosée.
Michel-Ange était venu à l’une de ces époques heureuses qui ne se retrouvent qu’à de lointains intervalles dans l’histoire humaine. Il arrivait pour achever, pour couronner glorieusement l’œuvre commencée par Luca della Robbia et Ghiberti. Était-il plus grand qu’eux parce qu’il est monté plus haut ? Était-il plus fort parce qu’il a continué le chemin qu’ils avaient ouvert ? Parce que le sable affermi sous leurs pas a gardé l’empreinte de ses pieds, faut-il