Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/284

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
280
REVUE DES DEUX MONDES.

souveraineté ; comprendre cette souveraineté, c’est élever l’esprit humain à sa plus sainte vocation.

Quand on croit, en la comprenant, à la souveraineté du peuple, les choses les plus grandes et les plus dissemblables en apparence se revêtent de clarté. Inspectez-vous les religions, étudiez-vous les langues différentes du Verbe de Dieu, vous les trouvez toutes sacrées, inégalement dans la forme, identiquement au fond. Alors l’homme aime toutes les religions et n’en reconnaît qu’une ; la vaste symbolique de l’humanité lui réjouit l’ame et l’imagination ; sa pensée devient un temple où sont convoquées toutes les images qui ont été faites de Dieu : et derrière ces représentations brille comme une lampe éternelle l’idée, l’inépuisable idée d’où s’échappent d’âge en âge des étincelles que les hommes appellent des flambeaux. Alors on sent que dans les révélations historiques rien ne saurait être définitivement vrai : on les apprécie d’autant mieux qu’on distingue la convenance de leur avènement et la possibilité de leur fin ; on est juste, on a un tendre respect pour celle des religions dont on se trouve le contemporain ; on l’étudie dans ses beautés comme dans ses faiblesses ; avec un cœur bien placé on n’outrage jamais une religion, pas plus qu’on n’insulte une femme ; que si on croyait voir le présent échapper à cette religion, et l’avenir se fermer pour elle, on serait plus enclin que jamais à exagérer les mérites de son passé par une pieuse reconnaissance, et jamais de plus unanimes hommages n’auraient honoré son berceau, ses martyrs et son nom. Mais aussi le désir immortel qui invite l’homme à l’espérance d’un avenir meilleur redoublerait ses aiguillons : croire à la souveraineté du peuple, c’est croire au développement infini du génie humain, aux forces inépuisables d’une verve créatrice. Nous ne sommes pas seulement sur la terre pour écrire des oraisons funèbres ; les souvenirs du passé ne nourrissent pas l’ame suffisamment. Quand le christianisme fit une vertu de l’espérance, il crut au progrès, moins la volonté humaine ; croire vraiment au progrès, c’est outrepasser l’espérance chrétienne, ou si on le préfère, c’est lui donner l’appui de la volonté. L’homme du dix-neuvième siècle peut poser la question comme le fondateur du christianisme ; non solvere legem, sed adimplere : il ne saurait être anti-chrétien, mais il a le droit de travailler à devenir plus que chrétien.