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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/290

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REVUE DES DEUX MONDES.

n’en avons pas, imitez-nous. Nous ne concevons rien à vos transports, à vos regrets, à vos désirs ; de vous ou de nous, quelqu’un a tort ; et comme ce ne peut être nous, soumettez-vous à la raison, à la souveraineté de la raison. La France, forcée de se passer d’imagination, voulut au moins, puisqu’on lui parlait de la raison, se retourner vers la logique ; mais aussitôt nos gens accoururent pour lui signaler d’autres périls. — La logique ! mais c’est une peste ; la logique est la ruine des empires ; jamais les états ne sont tombés que par la logique ; si vous raisonnez, vous nous perdez. — Mais que faut-il donc faire ? reprend la France ébahie. – N’ayez pas d’imagination, n’ayez pas de logique, et vivez bien. — Nos grands hommes d’état ne pourraient-ils pas au plus tôt se pourvoir d’une majorité parlementaire assez sage pour supprimer législativement l’imagination et la logique ? Pour nous, qui n’avons rien de commun avec cette inconcevable méconnaissance du génie de la France et de notre siècle, considérons comme un grand évènement et une grande espérance les progrès de l’instruction populaire, et puis encore ayons des conjonctures présentes la plus claire conscience. La fortune ne maltraite pas si fort les doctrines du progrès social, puisqu’elle leur donne du temps pour se former, se coordonner et se recueillir, puisqu’elle veut enrichir la liberté des résultats de l’étude et de la réflexion ; en vérité nous pourrions dire : Deus nobis hœc otia fecit. Réfléchissons : les révolutions victorieuses n’ont-elles pas une soudaineté fatale qui ne vous est révélée qu’au moment de les accomplir ? N’a-t-on pas trop appris que Dieu ne permet pas aux actions humaines de copier heureusement un dénouement sublime qui a déjà réussi ? La cause démocratique n’a plus besoin de martyrs : hélas ! elle n’en compte que trop ; elle a besoin de triomphes ; qu’elle continue tous les jours à grossir ses représentans dans tous les rangs, à s’enorgueillir des plus vigoureux talens parmi les hommes jeunes, à croire à la puissance et à la vertu des idées. Parce qu’il y a des gens qui se sont servis des idées, comme le héros du beau drame d’Angèle se sert des femmes, pour monter aux honneurs, et qui les brisent et les déshonorent quand ils sont arrivés au but de leurs convoitises, faut-il imputer aux idées une faiblesse et un déshonneur irrémédiables ? Faisons notre devoir, unissons-nous par un vaste prosélytisme d’idées et