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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/289

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DE L’INSTRUCTION DU PEUPLE.

temps : Prenez garde, voici les Barbares. Ah ! prenez garde à votre tour, peut-être ces Barbares seront plus intelligens que vous ; peut-être trouverez-vous dans leurs rangs des talens qui étoufferont les vôtres ; peut-être les habiletés de votre rhétorique éprouveront-elles un jour la supériorité de la conviction et du génie. Si notre première révolution n’a pu triompher de l’Europe qu’en amenant sur les champs de bataille le peuple pieds nus et sans pain, et si des villageois sont devenus de grands capitaines, pourquoi donc la science, répandue dans les rangs populaires, n’aurait-elle pas les mêmes effets que la contagion de l’héroïsme, et n’amènerait-elle pas aussi des troupes fraîches sur le théâtre de l’action et de la pensée ?

L’esprit humain ne se met jamais en jachère, et il offre à l’intelligence éternelle d’inépuisables couches à féconder.

Il y a aussi dans l’esprit de notre nation je ne sais quelle promptitude et quelle vitesse à prendre les choses, les saisir, les tourner, les pénétrer, les retourner, les parcourir dans leur étendue, les mettre à nu, les mener à leur conséquence directe, les peser à leur juste valeur ; nous comprenons vite, nous concluons vite. Aussi je ne doute pas que la diffusion de l’instruction populaire ne produise en France des effets plus prompts, et des effets différens que dans d’autres pays : en Allemagne l’instruction populaire, répandue plus profondément qu’en France, s’est empreinte de ce que le génie national a d’intime, de sentimental et de mystique ; en France, cette instruction populaire, quand elle sera propagée comme elle doit l’être, se teindra également des couleurs de notre génie. Or, les deux plus saillantes facultés, et les deux plus grands besoins du peuple français, sont l’imagination et la logique ; aussi, quand vous aurez suffisamment instruit ce peuple, il vous donnera surtout des poètes, des orateurs et des philosophes.

Oui, l’imagination et la logique se montrent toujours dans notre nation avides de s’accroître et de s’exercer : néanmoins il s’est trouvé des hommes qui nous ont catéchisés pour nous engager à nous modérer sur ce point. L’imagination, nous ont-ils dit, est chose dangereuse, et dans notre siècle, elle doit faire place à la sagesse. En 89, on avait de l’imagination, on en avait encore en 96, à l’armée d’Italie ; mais aujourd’hui ce serait suranné. D’ailleurs nous-mêmes nous