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la vie privée antérieure de ce personnage toujours orageux. Au milieu des inexactitudes et des lacunes inévitables d’un tel mode de reconstruction, surtout avec une édition si fautive et si incohérente que celle qu’avait donnée Manuel du manuscrit de Vincennes, il n’en résultait pas moins pour l’ensemble de la jeunesse et de la première vie de Mirabeau une impression assez juste, sentimentale plutôt qu’irrécusablement motivée ; on voyait un homme dont les malheurs étaient plus grands que les torts, et les torts plus méchans que le fond. Quant à sa vie publique, beaucoup de révélations successives avaient été faites, et avec un résultat assez inverse du précédent, c’est-à-dire que si, en y regardant bien, on l’avait trouvé meilleur au fond que ses divorces, ses rapts et ses adultères, on le trouvait au rebours dans la vie politique, plus léger et plus vain, moins scrupuleux en opinion, plus à la merci d’une belle inspiration du moment ou d’un mauvais discours qu’un de ses faiseurs lui avait apporté le matin, et finalement, pour tout dire, plus vénal, que son génie, son influence et le développement majestueux de son âge mûr ne le donnaient à penser. Parmi les documens récens qui se rapportent à cette vie publique, il convient de rappeler Les Souvenirs sur Mirabeau par Étienne Dumont de Genève, livre de bonne foi et de sens, écrit par un homme bien informé, sans prétention ambitieuse, quoi qu’on en ait dit ; livre qui n’atteint en rien le génie propre à Mirabeau et ne cherche point à lui dérober ni à lui soutirer son tonnerre ; mais qui a replacé l’homme et le génie dans quelques-unes des conditions réelles moins grandioses. Ces explications, telles que Dumont les précise, n’atténuent aucunement le génie de l’orateur ni même la capacité du politique, et bien au contraire elles les font d’autant plus ressortir ; mais l’autorité morale, la conscience sérieuse et l’aplomb du caractère en reçoivent quelque atteinte. Ce livre de l’honnête et spirituel Dumont a été accueilli ici avec une légèreté moqueuse et une boutade d’Athéniens qui ne veulent pas être contredits sur l’idole à la mode. On avait fait de Mirabeau de brillantes et fantastiques peintures ; Dumont venait qui remettait deux ou trois verrues à leur place sur ce grand visage, et il a été honni.

Quoi qu’il en soit, le jugement total de la vie publique et privée de Mirabeau laissait l’idée de quelque chose de grand mais d’énor-