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deux parties convinrent de considérer les paroles prononcées comme n’ayant qu’un sens politique.

Ce fut à cette époque que Brougham et Canning, rivaux d’éloquence, furent le plus souvent mis aux prises, et déployèrent dans la lutte les ressources les plus imprévues de leur talent. Les manières attrayantes de Canning, son style léger, insouciant, et cependant parfaitement classique ; l’art, qui lui était familier, de produire la conviction par des moyens imperceptibles et habilement gradués, de conduire son argumentation à la faveur d’éclaircissemens en apparence purement rhétoriques, comme un ruisseau caché par la végétation luxuriante de ses rives, contrastaient puissamment avec l’énergie rude et abrupte de son adversaire. Rien n’est moins engageant que l’attitude et le geste de Brougham lorsqu’il commence un discours. Il se lève lentement, d’un air gauche, comme s’il cachait l’entière conscience de son pouvoir sous une hésitation feinte ; il baisse les yeux ; ses premières paroles sont prononcées d’une voix rude et rauque ; son accent provincial se montre alors dans toute sa primitive âpreté. Son exorde est vague et décousu ; l’auditoire a peine à deviner par quel artifice cette introduction oratoire pourra s’enchaîner à l’argumentation générale. Peu à peu, à travers les ambages de ses indolentes pensées, l’idée mère qui doit dominer le discours entier commence à se faire jour. L’auditoire aperçoit, comme par révélation, les lignes générales du grand tableau que l’orateur va remplir et achever. Il entend gronder l’orage qui s’approche, il se tourne vers la victime prédestinée de ses implacables sarcasmes. Autrefois c’était quelque gentilhomme de campagne ou quelque suppôt du ministère, jeune et bavard ; aujourd’hui c’est un membre de l’aristocratie plus remarquable par la violence de ses opinions politiques que par la force de sa logique, qui demeure assis, mais qui semble accablé sous le pressentiment de l’impitoyable assaut qu’il va recevoir. En même temps l’orateur s’anime rapidement : son œil se lève, sa lèvre frémit ; ses longs bras s’ouvrent comme pour envelopper sa victime ; sa feinte modération s’évanouit ; ses pensées, auparavant lentes et déguisées, s’aiguisent, s’élèvent et se précipitent ; son accent disparaît presque entièrement ; s’il demeure, c’est seulement pour donner une certaine énergie au débit ; dès ce moment le flot tumul-