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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/453

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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

tueux de son éloquence ne s’arrête pas avant d’avoir englouti son antagoniste. Il y a dans la physionomie personnelle de Brougham quelque chose qui semble s’accorder avec le caractère singulier de son élocution. Sa contenance porte l’empreinte habituelle de l’ironie ; mais, dans la familiarité d’une conversation privée, elle prend une expression affable et bienveillante. Il est grand, osseux, disgracieux, mais il semble taillé pour endurer sans plier les fatigues les plus violentes d’esprit et de corps. Son aptitude à supporter ces deux genres de fatigues est au nombre des qualités dont il est le plus vain. Peu d’hommes sans doute ont vécu aussi long-temps que lui avec aussi peu de sommeil. Pendant plusieurs années, non-seulement dans les grandes occasions, mais régulièrement durant la session du parlement, son habitude était de demeurer jusqu’à la fin des débats dans la chambre des communes, qui souvent se prolongent jusqu’à une heure avancée de la matinée, et cependant il était à sa place aux tribunaux, dès l’ouverture des séances. Il fallait encore qu’il trouvât le temps d’assister aux nombreux meetings publics qui forment une partie si importante et si pénible de la vie politique en Angleterre. Il avait aussi à poursuivre ses travaux littéraires. Lorsqu’il briguait la députation du Yorkshire en 1830, il lui arriva un jour d’assister à huit meetings d’électeurs, dans des lieux différens, de prononcer un discours animé dans chacune de ces réunions, de faire cent vingt milles, et de reparaître le lendemain aux assises d’York. Cette énergie physique est accompagnée d’une grande mobilité d’esprit et de corps, qui l’empêche de fixer son attention pendant long-temps sur un sujet unique. Aussi le voit-on adopter à la hâte, abandonner capricieusement un nombre infini de plans et de spéculations dont il a lui-même le premier stimulé les inventeurs, pour les livrer ensuite à leurs propres forces. Il a besoin d’opposition pour s’animer et prendre courage. Après une défaite, il revient à la poursuite d’un plan favori avec un zèle nouveau ; mais un triomphe trop facile semble lui déplaire, et il aimerait mieux abandonner un projet, quoique assuré du succès, que de le poursuivre au milieu de l’indifférence et de l’oubli du public.

Dans cette partie de l’art oratoire qui consiste à exposer avec exactitude et clarté le détail des faits (chose essentielle dans le par-