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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

diffus ; au lieu de laisser quelque chose à deviner, il épuise la matière. Lord Brougham tourne et retourne son sujet de mille manières, jusqu’à ce qu’il ait obtenu l’effet qu’il désire ; et, loin d’avoir modelé ses compositions sur la manière cicéronienne, ses discours les plus heureux sont peut-être ceux qu’il avait le moins préparés. Il n’a pas assez d’originalité dans la pensée, ni d’élégance dans l’expression, pour être un orateur qu’on puisse lire dans le cabinet. Sa faculté oratoire consiste essentiellement à traiter les affaires, et perd la moitié de son charme quand on l’examine sans prévention, et que l’esprit du lecteur s’attache au discours en lui-même, sans tenir compte des circonstances dans lesquelles il a été prononcé. La partie qu’il travaille le plus est, en général, la péroraison ; souvent elle est puissante, solennelle, et produit une vive impression, quoiqu’il ait eu parfois recours à des parades de théâtre indignes de lui, pour en augmenter l’effet, comme lorsque, dans un de ses discours en faveur du bill de réforme, il tomba à genoux et supplia la chambre des lords de le convertir en loi. Ce mouvement eût pu être touchant et convenable dans une discussion avec des hommes simples et de bonne foi, dans une assemblée de Sparte, une vieille diète de la Suisse, ou dans un moment de crise nationale : mais rien ne pouvait être plus déplacé chez un vétéran de la politique, en face de rusés adversaires, vieillis comme lui dans les affaires, dans une assemblée aussi artificielle que la chambre des lords d’Angleterre.

C’est une chose remarquable qu’une scène du même genre se rencontre dans l’histoire de France où il est présumable que Brougham n’allait pas chercher des précédens. Le cardinal de Retz rapporte une circonstance où Talon parla un jour dans le parlement contre Mazarin. « Il fit une des plus belles actions qui se soient jamais faites en ce genre. Je n’ai jamais rien ouï ni vu de plus éloquent. Il accompagna ses paroles de tout ce qui leur put donner de la force ; il invoqua les mânes d’Henri-le-Grand ; il recommanda la France à saint Louis, un genou en terre. Vous vous imaginez peut-être que vous eussiez ri de ce spectacle, mais vous en eussiez été ému comme toute la compagnie. » Néanmoins Guy-Joly, en décrivant la même scène, ajoute : « Talon voulut faire la grimace