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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

Il était ainsi devenu extrêmement difficile de trouver, parmi les partisans des libéraux, des hommes doués d’assez d’expérience et de connaissance des lois pour remplir le ministère de ce département. En 1806, les whigs s’étaient trouvés eux-mêmes dans la même détresse et avaient élevé à la chancellerie un avocat d’un talent brillant, mais sans aucune des qualités qui font le juge, le célèbre lord Erskine. Brougham avait à la vérité déclaré, après la retraite de Wellington, qu’il n’accepterait aucune des fonctions qui pourraient lui être offertes ; mais de telles déclarations ont été si fréquentes dans le cours de ces dernières années, qu’elles sont considérées comme une sorte de coquetterie permise aux hommes d’état ; et personne ne fut surpris lorsque, trouvant que son appui était réclamé par ses amis politiques, il devint soudainement juge et pair, ayant refusé, comme il fut dit alors, de servir ses alliés dans toute autre fonction que la plus haute.

Ainsi, d’un seul pas, un simple avocat s’éleva subitement à la plus haute dignité judiciaire. La pairie, 14,000 livres sterling par an et un patronage énorme tombèrent dans les mains d’un homme pauvre, d’un orateur faible jurisconsulte et tout-à-fait étranger à la connaissance des lois spéciales et fort compliquées que la cour de la chancellerie administre en Angleterre. C’est une conséquence de cette ancienne et malheureuse coutume qui veut que le plus haut juge d’appel siége dans le cabinet et préside la chambre des lords, d’où il arrive que la justice est confiée aux préjugés ardens d’un homme politique, ou que les intérêts d’un ministère sont abandonnés à un étroit légiste. Malgré l’énorme augmentation de pouvoir et de fortune qu’il obtint ainsi, lord Brougham doit certainement avoir regretté souvent son importance d’orateur. Il était naturellement formé pour les passions politiques d’une assemblée tumultueuse, et toute son énergie a été employée à remplir cette destinée. Le grave et quelquefois pédantesque caractère de la chambre des lords était peu fait pour lui. Avec beaucoup moins de pouvoir réel que les communes, elle a plus de la solennité d’un aréopage : l’invective, le sarcasme, l’ironie comique, sont considérés là comme chose inconvenante. Lord Brougham a senti le froid de l’atmosphère autour de lui ; la conscience de sa supériorité oratoire sur ses nouveaux collègues n’a pas fait disparaître