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REVUE. — CHRONIQUE.

mais ils avaient été jugés et condamnés officiellement, on n’avait nul droit de les plaindre. Le bal qui a eu lieu aux Tuileries, le jour de la mort de M. Dulong, a une signification plus grave : c’est du cynisme et de la haine à nu ; et le nom du roi, qui se trouve si déplorablement mêlé à cette affaire, donne encore plus d’importance à ce fait. Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que cette querelle déjà éteinte a été ranimée et soufflée à dessein par quelques hauts personnages. Aux caractères décidés qui se sont arrêtés à l’artillerie et à la mitraille comme unique et dernier moyen d’en finir avec l’opposition, nous n’attribuerons pas la mince pensée de lui faire la guerre à coups de pistolet ; mais il est évident que le jour du duel de M. Dulong, la haine a éclaté sans contrainte. Le lendemain, cette haine veillait, la mèche allumée et le sabre au poing, dans toutes les rues de Paris. Là elle était sur son terrain, elle attendait son ennemi avec des forces capables de l’écraser. Mais celui-ci a été plus prudent, il s’est contenté de montrer une partie des siennes, et il s’est retiré. Que dire d’un gouvernement qui provoque ainsi un parti qu’il a grossi par ses rigueurs, au lieu de le calmer ? Un ministre, le plus léger, le plus audacieux de tous, ne parle-t-il pas sans cesse de la nécessité d’en finir avec le gouvernement représentatif ? et ne disait-il pas un jour à quelqu’un qui lui objectait que les 18 brumaire ne se font qu’après avoir acquis de la gloire l’épée à la main : « Eh bien ! nous pouvons faire nos campagnes d’Égypte et d’Italie sur le pavé de Paris ! » En ce sens-là le ministère a déjà remporté sa victoire du pont d’Arcole, et il n’a pas tenu à lui qu’il n’eût tout récemment sa bataille des Pyramides. Mais tôt ou tard, il en viendra là, car, nous le répétons, nos grands hommes d’état n’ont plus qu’un rêve, qu’une pensée, le despotisme militaire.

En attendant, on s’occupe de river tout doucement quelques-unes des libertés publiques, et malheureusement, il faut le dire, les circonstances servent fort bien ce fatal ministère. Le parti républicain tenait à se montrer d’une manière imposante aux obsèques de M. Dulong. Trente mille hommes sous les armes, quelques milliers de sergens de ville, plusieurs escadrons de garde municipale, des canons attelés, tout cela n’était pas de trop pour s’opposer au fantôme de la république, et l’occasion était trop belle pour ne pas accoutumer les Parisiens à un déploiement de forces militaires qui en 1830 les avait fait courir aux armes. Les crieurs publics inondaient les rues en colportant des écrits très vifs, très hardis, souvent pernicieux, nous le disons avec franchise ; il a donc fallu réprimer cette licence, et pour cela livrer à M. Gisquet la voie publique, comme le ministère Villèle l’avait livrée à M. Delavau, confier une censure préventive à la police, ce pouvoir si moral, si jaloux de réformer les tuteurs du peuple, si intéressé à la suppression des vices et de tous les désordres ! Ce n’est pas tout, la Vendée tarde à se pacifier : bonne occasion pour demander une immense augmentation de gendarmerie, car on ne se fie plus assez aux gardes nationales, non plus même aux troupes de ligne ; c’est de la gendarmerie qu’on veut avoir, ce soutien puissant des gouvernemens paternels comme des gouvernemens populaires. Encore le code de la gendarmerie est-il insuffisant ; on demande aux chambres d’accorder les attributions des officiers de paix aux maréchaux-des-logis de gendarmerie ; et la chambre des députés, si ardente au bien, accorde aussitôt d’elle-même et sans efforts ces pouvoirs à de simples brigadiers. Aux premiers troubles qu’il plaira à la police de susciter dans Paris, on y versera quelques escadrons de ces gendarmes-magistrats qui en auront bientôt fini de ces choses superflues à une grande nation, qu’on nomme liberté individuelle et liberté de la presse.