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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/521

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LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

s’il en est qui vivent paisibles et sereins, et qui dorment heureux sans espérance de grandir, ces esprits sont rares et font exception à la loi commune.

Ce n’est pas tout. Jusqu’ici nous avons supposé que la comparaison assidue du présent et du passé, bien que préjudiciable aux contemporains, se réalisait à des conditions régulières ; nous avons cru, par hypothèse, que les amans studieux du passé contemplaient d’un œil clair et attentif les monumens élevés chaque jour à leurs côtés.

Mais cela est-il ainsi ? Je ne le crois pas. Ceux qui baptisent du nom d’immortel et d’inimitable un siècle de prédilection, qui prennent pour dernier terme du génie humain l’âge d’Élisabeth ou de la reine Anne, de Louis xiv ou de Voltaire, consentiront-ils volontiers à étudier dans leurs moindres détails les inventions qu’ils dédaignent à priori ? Devons-nous attendre de leur mépris l’analyse patiente et déliée des œuvres qu’ils ont rapetissées d’avance dans leur pensée ? Ne serait-ce pas de leur part une complaisance merveilleuse et presque impossible, que de descendre jusqu’à l’intelligence intime des choses et des hommes qui sont auprès du passé comme s’ils n’étaient pas ? Espérez-vous qu’ils s’abaissent jusqu’à mesurer des pygmées, eux qui ne veulent regarder que des géans ?

Aussi voyez comme ils traitent le plus souvent avec une ignorante fatuité les questions qu’ils n’ont pas même feuilletées ! Voyez comme ils parlent avec une abondance vide et gonflée des problèmes les plus nouveaux, qu’ils ne soupçonnent pas ! Comme ils déplacent et brouillent les termes opposés des équations qu’ils prétendent résoudre ! Comme ils tranchent d’un mot les doutes qu’ils ne conçoivent pas ; comme ils cravachent insolemment les difficultés qui se cabrent sous leur gaucherie entêtée !

Il y a dans la vénération du passé quelque chose qui obscurcit fréquemment l’intelligence des contemporains. Complète et persévérante, l’étude des monumens qui ont traversé les siècles ne pourrait se concilier avec l’ignorance et le dédain du présent. Renfermée dans de certaines limites, dévouée aux intérêts d’une famille dont elle ne connaît pas la généalogie, cette étude ferme la porte aux idées nouvelles.