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Ces jours derniers, vous le savez, le poète a révélé à quelques amis choisis le mot de cette mystérieuse énigme. Il a lu les premières pages de ses Mémoires ; il a raconté sans pruderie et sans réticences la réalité cachée sous ce poème inexpliqué jusqu’ici. Ses Mémoires seront peut-être, et je le crois volontiers, le plus durable et le plus solide de tous les monumens qu’il a élevés pour éterniser son nom.

Il avait abordé l’histoire, mais il a reculé dès les premiers pas. Dans le prologue chrétien de cette épopée inachevée, il y a des pages que Bossuet aurait signées. Mais le récit à peine commencé s’éloigne déjà de l’inspiration primitive. Le talent dramatique d’Augustin Thierry, les synthèses philosophiques de Guizot ont éveillé, chez l’annaliste, des ambitions nouvelles et imprévues. Le génie chrétien s’est effacé, mais la pensée purement humaine n’avait pas eu le temps de germer et de mûrir. Le portail catholique nous a introduits inopinément aux colonnades païennes. Où est l’édifice ?

Indiana, Valentine et Lélia représentent dans le roman trois faces bien distinctes de la pensée, le récit familier des mœurs domestiques, l’entrelacement dramatique des épisodes de la vie réelle, et enfin, comme couronnement, le symbolisme lyrique élevé à sa plus haute généralité. La première partie de Valentine a souvent été comparée, et selon moi avec justice, aux meilleures pages des Confessions de Jean-Jacques. Toutes les descriptions du Berri sont ravissantes de grace et de fraîcheur. Les caractères d’Indiana et de Valentine sont des individualités précises qui avaient disparu de la poésie depuis Eugène de Rothelin, Adèle de Sénange et la comtesse de Fargy.

Ce qu’il faut remarquer dans Indiana et Valentine, c’est la prédominance constante de l’élément humain. On pourrait désirer plus de prudence et d’habileté dans les évolutions progressives de la fable ; on pourrait souhaiter une économie plus sage dans l’invention des scènes, et surtout une prévoyance plus sûre d’elle-même, une conscience plus complète de la conclusion définitive mais ce qui éclate à chaque page, c’est l’intime vérité des sentimens. Cette vérité que j’admire, et que souvent j’ai vainement cherchée dans les meilleures inventions de notre temps, se compose