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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/543

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LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

Mais je me hâte de le reconnaître, vous avez fait pour la prose, dans Notre-Dame de Paris, ce que vous aviez fait pour la poésie dans les Orientales. Vous avez forgé la langue sur une enclume sonore et solide, vous l’avez enrichie d’images qu’elle ne connaissait pas ; c’est un champ que vous avez défriché, que vous avez semé de vos mains ; nul ne peut vous en disputer la moisson sans injustice et sans honte.

Notre-Dame est à mes yeux un magnifique édifice, plein d’étonnemens et de secrets inattendus, qui fatigue la curiosité sans l’épuiser. C’est une construction gigantesque dont les pierres innombrables, soudées ensemble par un ciment invisible, semblent défier nos rêves les plus hardis. Mais dans ce poème singulier, si l’on excepte la recluse, où est le rôle de l’homme ?

Où placer le beau poème de René, qui, depuis trente ans, n’a pas encore lassé notre admiration ? Est-ce une élégie, est-ce un roman ? Qu’importe, n’est-ce pas ? Critique de second ordre dans le Génie du christianisme, voyageur inexact et verbeux dans l’Itinéraire, imitateur patient, mais inutile, de Virgile et d’Homère dans les Martyrs, et les Natchez, Châteaubriand occupe encore aujourd’hui une des cimes les plus élevées de la poésie qu’il a vue grandir sous ses yeux. René, par sa mélancolie harmonieuse et vraie, par la peinture profonde, quoique rapide, des souffrances intérieures du génie oisif, par le tableau douloureux, mais vivement esquissé, du cœur qui répugne au présent et n’a pas encore trouvé l’avenir qu’il doit souhaiter et poursuivre, René demeure encore aujourd’hui, avec le magnifique épisode de Velleda, le plus réel et le plus glorieux des titres littéraires de Châteaubriand. Bien des images, bien des sentimens, aujourd’hui presque démonétisés par leur popularité, ont été gravés sur l’airain par la main de René. Je ne crois pas qu’on doive regretter, dans cette grave autobiographie, l’absence des développemens dramatiques ; où l’action commence, la rêverie finit. René, une fois arraché aux supplices de sa pensée, d’autant plus déchirante qu’elle est plus indécise, ne serait plus René s’il se mêlait au monde pour y jouer son rôle ; il perdrait sans retour cette majesté sereine qui ne l’abandonne pas au milieu de ses hymnes désespérés.