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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/560

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ils délibéraient sur tout : ils mêlaient les discours aux guerres, aux expéditions et aux lois décrétées. Ainsi les Corinthiens durent parler contre les Athéniens dans l’assemblée de Lacédémone. Voilà pour l’historien le texte nécessaire : il ajoutera son génie à la situation et à la réalité : il se servira de la harangue des Corinthiens pour apprécier l’esprit des deux peuples qui vont s’étreindre et se combattre ; sous la forme d’un reproche direct, il fera le portrait des Lacédémoniens : « Seuls d’entre tous les Grecs, ô Lacédémoniens, vous aimez à temporiser, vous défendant plus par la lenteur que par la force ; seuls, vous vous opposez à l’agrandissement de vos ennemis, non lorsqu’il commence, mais lorsqu’il est double ! Cependant on disait votre politique ferme et sûre, mais les faits démentent cette renommée. Le Mède, parti des extrémités du monde, était arrivé jusqu’au Péloponèse avant que vous lui eussiez opposé des efforts dignes de vous : et maintenant vous voyez avec indifférence les Athéniens, qui ne sont pas éloignés comme le Mède, mais qui sont près de vous. » Mais l’historien retrempe ses couleurs pour opposer l’un à l’autre le caractère de l’Athénien et du Spartiate : « Les Athéniens sont novateurs, prompts à inventer et à exécuter ce qu’ils ont résolu. Vous, au contraire, vous voulez conserver ce que vous possédez sans inventer rien, sans atteindre en réalité même au nécessaire. De plus, les Athéniens sont entreprenans au-delà de leurs forces, audacieux au-delà de toute attente, pleins d’espérance dans les revers ; votre partage est d’agir au-dessous de vos forces, de ne pas même vous fier aux choses les plus sûres, et de croire que vous ne serez jamais délivrés des malheurs. Ils sont aussi infatigables que vous êtes tardifs ; ils quittent aussi volontiers leurs foyers que vous y êtes attachés. Ils croient, en sortant de leurs murs, acquérir quelque chose ; en faisant une excursion, vous croyez nuire à ce que vous possédez. Vainqueurs, les Athéniens s’avancent très loin ; vaincus, ils se découragent très peu. Bien plus, ils dévouent à leur patrie leurs corps, devenus étrangers à eux-mêmes, et leur ame jusqu’à ses ressorts les plus secrets. S’ils ne réussissent pas dans ce qu’ils ont conçu, ils se croient déchus de ce qui leur appartenait ; s’ils saisissent l’objet de leur ambition, ils croient avoir peu fait en comparaison de ce qui leur reste à