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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/57

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FANTASIO.

ELSBETH.

Cela me paraît douteux que vous cueillez jamais cette fleur-là.

FANTASIO.

Pourquoi ? l’esprit peut venir à un homme vieux, tout comme à une jeune fille. Cela est si difficile quelquefois de distinguer un trait spirituel d’une grosse sottise. Beaucoup parler, voilà l’important ; le plus mauvais tireur de pistolet peut attraper la mouche, s’il tire sept cent quatre-vingt coups à la minute, tout aussi bien que le plus habile homme qui n’en tire qu’un ou deux bien ajustés. Je ne demande qu’à être nourri convenablement pour la grosseur de mon ventre, et je regarderai mon ombre au soleil pour voir si ma perruque pousse.

ELSBETH.

En sorte que vous voilà revêtu des dépouilles de Saint-Jean ? Vous avez raison de parler de votre ombre ; tant que vous aurez ce costume, elle lui ressemblera toujours, je crois, plus que vous.

FANTASIO.

Je fais en ce moment une élégie qui décidera de mon sort.

ELSBETH.

En quelle façon ?

FANTASIO.

Elle prouvera clairement que je suis le premier homme du monde, ou bien elle ne vaudra rien du tout. Je suis en train de bouleverser l’univers pour le mettre en acrostiche ; la lune, le soleil et les étoiles se battent pour entrer dans mes rimes, comme des écoliers à la porte d’un théâtre de mélodrames.

ELSBETH.

Pauvre homme ! quel métier tu entreprends ! faire de l’esprit à tant par heure ! N’as-tu ni bras ni jambes, et ne ferais-tu pas mieux de labourer la terre que ta propre cervelle ?

FANTASIO.

Pauvre petite, quel métier vous entreprenez ! épouser un sot que vous n’avez jamais vu ! — N’avez-vous ni cœur ni tête, et ne feriez-vous pas mieux de vendre vos robes que votre corps ?

ELSBETH.

Voilà qui est hardi, monsieur le nouveau-venu !