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cet homme qui redouble, par l’éloquence, la puissance de l’histoire, qui augmente la vérité par l’idéal, qui laisse aux orateurs de tous les temps des exemples pour les enflammer en les désespérant ?

Le style de Thucydide a été fabriqué pour durer toujours ; il a toutes les propriétés de l’homme qui l’a forgé ; il est profond comme lui, grave, majestueux, austèrement pathétique, positif et idéal comme lui ; il ressemble à l’homme qui l’a tiré hors de lui ; nous conseillons aux rhéteurs anciens et modernes de s’y résigner, ou plutôt qui les oblige à s’occuper de Thucydide ?

Il n’y a qu’un sentiment sincère et profond des beautés de l’histoire qui a pu engager M. Ambroise-Firmin Didot à essayer de le traduire. M. Firmin Didot n’ignorait pas que Charles Lévesque avait, en 1795, publié une traduction de Thucydide qui fut distinguée plus tard par le jury des prix décennaux, et qui offrait, sinon une image toujours satisfaisante de l’original, du moins un reflet qui n’était pas sans mérite et sans charme jusque dans sa pâleur. Charles Lévesque possédait, dans une assez notable mesure, la connaissance, le goût et l’intelligence de l’antiquité. M. Gail déclara que le travail de son prédécesseur lui avait été fort utile, et s’efforça de donner à sa traduction nouvelle le caractère d’une fidélité plus opiniâtre. Venant après Lévesque et Gail, M. Firmin Didot a profité de tous deux, ce qui est fort naturel, mais ne s’en distingue pas d’une manière bien nette ; ce qui eût été nécessaire. Son allure n’est pas décidée : peut-être n’est-il pas assez maître de tous les secrets de l’idiome grec et de la langue française, eu égard à la rude tâche qu’il s’était imposée. Mais le nouveau traducteur n’en mérite pas moins les remerciemens des amis de l’antiquité pour ses efforts, pour le beau texte grec qui accompagne sa traduction, enfin pour une version nouvelle qui doit procurer à Thucydide quelques lecteurs de plus.

Thucydide, comme tous les grands génies qui viennent les premiers, est suivi dans l’évolution de la pensée humaine par des esprits analogues qui ont su marier à leur ressemblance avec lui une forte originalité. Salluste et Tacite chez les Romains, Machiavel chez les Italiens, sont évidemment des proches de Thu-