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FANTASIO.

bellit ou on la tue. La plus chétive violette mourrait plutôt que de céder, si l’on voulait, par des moyens artificiels, altérer sa forme d’une étamine.

FANTASIO.

C’est pourquoi je fais plus de cas d’une violette que d’une fille de roi.

ELSBETH.

Il y a de certaines choses que les bouffons eux-mêmes n’ont pas le droit de railler ; fais-y attention. Si tu as écouté ma conversation avec ma gouvernante, prends garde à tes oreilles.

FANTASIO.

Non pas à mes oreilles, mais à ma langue. Vous vous trompez de sens ; il y a une erreur de sens dans vos paroles.

ELSBETH.

Ne me fais pas de calembourg, si tu veux gagner ton argent, et ne me compare pas à tes tulipes, si tu ne veux gagner autre chose.

FANTASIO.

Qui sait ? Un calembourg console de bien des chagrins ; et jouer avec les mots est un moyen comme un autre de jouer avec les pensées, les actions et les êtres. Tout est calembourg ici-bas, et il est aussi difficile de comprendre le regard d’un enfant de quatre ans, que le galimatias de trois drames modernes.

ELSBETH.

Tu me fais l’effet de regarder le monde à travers un prisme tant soit peu changeant.

FANTASIO.

Chacun a ses lunettes ; mais personne ne sait au juste de quelle couleur en sont les verres. Qui est-ce qui pourra me dire au juste si je suis heureux ou malheureux, bon ou mauvais, triste ou gai, bête ou spirituel ?

ELSBETH.

Tu es laid, du moins ; cela est certain.

FANTASIO.

Pas plus certain que votre beauté. Voilà votre père qui vient avec votre futur mari. Qui est-ce qui peut savoir si vous l’épouserez ?

(Il sort.)