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d’adresse M. Augustin Giraud, s’il est en mesure d’opposer une forte digue aux débordemens révolutionnaires. C’est le mot obligé ; depuis vingt ans, il a servi de préface à toutes les lois d’exception.

L’affaire de Lyon est arrivée fort à propos pour le ministère, qui cherche depuis quelque temps à faire un coup d’état pour se consolider. Aussi les journaux ministériels ont-ils été vertement tancés de leur maladresse. Rassurer le pays en lui disant que les associations pour l’augmentation du prix du travail n’ont rien de politique, que c’est une coalition tout industrielle, c’était couper l’herbe sous les pieds du ministère, qui n’avait jamais eu une plus belle occasion d’exploiter le système de la peur ; c’était déconcerter toutes les hautes combinaisons de la pensée suprême qui avait jugé le moment favorable pour écraser les résistances de Paris, en montrant à la capitale ce qu’on saurait faire contre les velléités de démonstrations populaires. Les forts détachés de Lyon, et particulièrement le fort Montessui, n’étaient-ils pas armés, approvisionnés pour trois mois, le parc d’artillerie de Valence braqué dans les rues, trente mille hommes campés sur les deux rives du Rhône, les divisions des deux départemens voisins prêtes à marcher ? Aussi le journal ministériel de Lyon fut-il chargé de relever les journaux de Paris restés en arrière ; il annonça « que le pouvoir, en mesure, se disposait à donner une leçon vigoureuse aux ouvriers, » et ajouta : « Nous ne voyons pas ce que l’ordre public y perdrait. » Selon ce détestable égoïsme et ce froid calcul de ses intérêts qui domine le pouvoir actuel, le sang versé n’entre pour rien en ligne de compte, et il n’y a qu’à gagner pour lui dans la guerre civile et le massacre de toute une population.

Ces affreuses combinaisons contrastent tellement avec les mœurs de notre époque, qu’on se refuserait à les prêter au ministère, si des faits nombreux et des indiscrétions de tout genre ne les révélaient chaque jour aux plus incrédules. Au conseil, dans les salons ministériels, on ne cachait pas son impatience, on se plaignait de la lenteur et de l’irrésolution des ouvriers, on recommandait dans les dépêches de les pousser à bout, il fallait en finir, et si quelque bonne ame s’avisait de représenter à nos hommes d’état que la ruine de Lyon et de son industrie serait une calamité pour la France entière, l’un des habiles de la troupe, celui qui a réponse à tout, lui disait : « Voyez Manchester. Il y a peu de mois que je l’ai visité. Depuis les derniers massacres, la prospérité de la ville a augmenté de moitié. » On conviendra qu’il serait impossible de remettre les intérêts du commerce en de meilleures mains.

Le ministère voyait sans peine les fabricans émigrer avec leurs femmes et leurs enfans, les ouvriers se croiser les bras et attendre patiemment la