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quelques théologiens, moins ignorans, permettaient à la terre de prendre la forme ronde, c’était à la condition expresse qu’il n’y aurait pas d’antipodes. L’histoire naturelle des animaux devait partir de la reproduction de ceux qui avaient été conservés dans l’arche ; l’histoire et l’ethnographie avaient pour base commune la dispersion, sur la surface de la terre, de la famille de Noë.

Les sciences avaient donc leur point de départ fixé et déterminé, et l’on traçait autour de chacune d’elles un cercle d’où il lui était interdit de sortir, sous peine de tomber à l’instant sous la redoutable censure des théologiens, qui avaient toujours au service de leur opinion, bonne ou mauvaise, trois argumens irrésistibles, la persécution, la prison ou le bûcher.

Ces obstacles, que l’esprit scientifique rencontra dans tout le moyen-âge, et qui retardèrent pendant si long-temps les progrès des sciences d’observation, tiraient leur force principale de l’autorité des saints Pères. Ces hommes, si éminens par leur foi et leur éloquence, mais généralement peu familiarisés avec les études scientifiques, se persuadèrent que la seule cosmographie possible était celle qu’ils trouvaient exposée dans la Bible, et que les opinions des Grecs, c’est-à-dire le système de Ptolémée, ne devaient point être admises, parce qu’elles étaient contraires au texte de Moïse, dont toutes les paroles, inspirées par l’esprit divin, devaient offrir le reflet de l’éternelle sagesse. Quelques-uns d’entre eux, trop éclairés pour ne pas sentir toutes les difficultés qui résultaient de l’interprétation littérale, essayèrent d’entrer dans une voie moins étroite. Pour l’honneur de l’écrivain sacré, ils pensèrent qu’en certains cas le sens vulgaire de ses expressions en cachait un plus relevé ; ils y découvrirent des allégories savantes ou des symboles mystérieux. Ce système d’interprétation, puisé dans les habitudes de la philosophie païenne, et que les Juifs alexandrins, tel que Philon, avaient adopté déjà, fut mis en œuvre surtout par Origène, un des plus spirituels entre les saints Pères ; mais on le repoussa de toutes parts. Il y eut des docteurs chrétiens qui, voyant à quelles conséquences conduisait l’interprétation littérale de la Bible, relativement à la cosmographie, mais n’osant pas s’en écarter, voulurent qu’on s’abstînt de toutes ces discussions mondaines, étrangères à la foi, et qui pouvaient lui nuire ; ils gardèrent eux-mêmes