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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

remplies par de glorieux travaux, avaient été employées par le compositeur à effacer le petit pianiste ; la tête était enfin parvenue à faire oublier les mains, lorsqu’il reparut à Vienne, déjà grand homme, et plié sous le poids de ses nombreuses couronnes et de ses partitions. Ce fut son patron, l’archevêque de Saltzbourg, qui le rappela dans cette ville. Ce prince, grand ami des arts, puisqu’il possédait une galerie de tableaux, et qu’il avait une musique de chambre, avait résolu de traiter avec la plus haute distinction ce jeune artiste, dont la célébrité rejaillissait sur lui. Mozart fut logé dans son palais. À son arrivée, Mozart écrivit à son père. Voici un fragment de sa lettre : « J’ai une jolie chambre dans la maison de son éminence. À onze heures et demie du matin on se met à table ; malheureusement, un peu trop de bonne heure pour moi. À cette table mangent les deux valets de chambre, le contrôleur, le chef d’office, les deux cuisiniers et ma chétive personne. Pendant le repas, on fait des plaisanteries grossières ; mais on plaisante peu avec moi, parce que je ne prononce pas une parole. Quand il y a nécessité de parler, je le fais avec un grand sérieux, et je m’en vais dès que mon repas est fini. » Mozart montre beaucoup d’amertume dans cette lettre ; il veut absolument arriver jusqu’à l’empereur, faire changer son sort ; mais Mozart avait tort de se plaindre, on le traitait tout-à-fait en grand homme, car tandis qu’à Vienne on le faisait dîner à la cuisine, à Paris on envoyait Rousseau manger à l’office.

Je n’ai pas parlé du second séjour qu’il fit à Paris, où il perdit sa mère. La misère qui la menaçait avait contraint la pauvre famille de Saltzbourg à cette cruelle séparation. Le vieux Mozart, cloué par sa goutte au fond de la Bavière, retenu d’ailleurs par la nécessité de remplir les fonctions de sa place d’organiste du prince-archevêque, éclairait de sa vieille expérience tous les pas de ces deux chers voyageurs. Il n’oubliait rien dans ses instructions. À Inspruck, il fallait s’arrêter à l’auberge de la Croix, car l’aubergiste aimait les artistes, et ses repas ne coûtaient que trente kreutzer. D’ailleurs l’église était proche, et on pouvait aller plus fréquemment y prier pour le succès du voyage. À Augsbourg, il recommandait l’hôtel des Trois-Môres, où mangeaient l’organiste de la ville et un journaliste par lequel il était possible de faire