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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/680

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REVUE DES DEUX MONDES.

Juan bien au-dessus d’Idomeneo et de la Flûte enchantée. Don Juan résume toutes les qualités éclatantes et solides qui, dans les autres ouvrages de Mozart, ne se révèlent qu’isolément. On retrouve dans Don Juan toute la gravité d’Idoménée, toute la grace de l’Enlèvement au sérail, toutes les ressources instrumentales de la Flûte enchantée. Étudier Don Juan, c’est étudier Mozart.

L’avènement et la haute fortune de la musique italienne en France depuis une vingtaine d’années, la réaction exercée contre la musique dramatique, telle que la concevaient Grétry et Dalayrac, qui ont fait pendant si long-temps l’admiration et la joie de la société française, l’anathème prononcé par les symphonistes contre le drame musical, nous amènent naturellement à poser cette question : Quelles sont les conditions de la musique dramatique ?

Si Don Juan est un drame, et si Mozart diffère absolument, par sa manière et ses intentions, de la déclamation française et de la mélodie italienne, il doit y avoir au fond de Don Juan un secret de la plus haute importance, ignoré ou méconnu par la plupart des musiciens de France et d’Italie. Je pense, en effet, que les compositeurs français de la fin du xviiie siècle ont reculé inconsidérément les limites de l’expression musicale, tandis que les compositeurs italiens du xixe ont souvent attribué à la musique une puissance trop exclusivement sensuelle.

Vouloir trouver dans la musique les moyens de traduire successivement, une à une, individuellement, les passions humaines ; vouloir exprimer par les sons, non-seulement les mouvemens tumultueux de l’ame dans leur généralité la plus saisissante, mais encore les détails, et je dirai volontiers les curiosités de ces mouvemens, ce n’est rien moins, à mon avis, qu’ignorer ou trahir la mission de l’art musical.

D’autre part, ne voir dans la musique qu’une distraction plus ou moins vive, une occupation pour l’oreille et non pour le cerveau, exclure la passion de l’orchestre et de la voix, ne voir, dans la combinaison des sons, qu’un artifice ingénieux destiné à produire certaines impressions quelquefois excitantes jusqu’à l’ivresse, quelquefois voluptueuses et nonchalantes jusqu’à la somnolence, ce n’est pas une erreur moins grave.

Aujourd’hui la lutte insensée de la musique et de la poésie n’est