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progressifs qui dominent et dirigent l’avis du plus grand nombre.

Si le drame musical ne relève directement ni de la poésie ni de la symphonie, s’il se condamne à la médiocrité dans le premier cas ; si, dans le second, il n’est que l’image effacée d’une figure plus splendide et plus complète, que doit-il donc se proposer ? Sans nul doute, la passion est de son domaine, puisque la passion est l’élément primitif du drame. Toute la difficulté se réduit à savoir comment, à quel moment la passion peut se traduire sous la forme musicale.

À mon avis, la musique doit prendre la passion de première main, c’est-à-dire à son origine. Loin de confier au poète le développement et le détail du sentiment qu’elle veut exprimer, elle ne doit demander au librettiste qu’un canevas d’une trame large et flexible, qu’elle puisse broder à son gré, sans jamais craindre que la solidité du tissu fasse obstacle aux caprices de son travail. De cette sorte, on le comprend, le musicien ne doit jamais se mettre au service du poète ; il doit le prendre comme un ami docile et dévoué, qui trace la route et n’y marche pas, qui désigne le sol où se bâtira le palais, choisisse le terrain où s’asseoiront les fondemens, mais ne pose pas une seule pierre de l’édifice. La musique, il ne faut pas l’oublier, est par elle-même un organe aussi complet pour la pensée que la poésie, non pas qu’elle puisse prétendre à lutter de précision et de souplesse avec la parole, lorsqu’il s’agit d’une idée à expliquer ; mais je veux dire seulement qu’étant donné un sentiment à exprimer, le poète et le musicien, en choisissant chacun le côté qui convient le mieux aux ressources de leur art, pourront atteindre à la même puissance et au même succès.

Je ne conseillerais pas à un musicien d’essayer l’expression de sentimens limités et précis, comme l’ambition ou la jalousie, par exemple ; et si, de nos jours, il s’est rencontré quelques esprits enthousiastes et inexpérimentés qui ont voulu écrire dans l’orchestre le journal de leurs impressions, il faut les plaindre et les blâmer, mais ne pas suivre la route aventureuse où ils se sont égarés.

Je crois que le musicien doit choisir dans les mouvemens de l’ame les plus généraux et les plus vagues, les plus constans et les plus vifs, tels que la joie, la colère, la tendresse, et ne jamais se hasar-