Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/685

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
673
HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

et jeté au vent les lois des sociétés humaines, il ne s’arrête pas, il fait de son héros ce qu’il a fait de la vertu, des croyances et des lois : le doute s’attaque à don Juan lui-même ; c’est à peine si l’on y croit.

Dans le don Juan de Byron, il y a autant de Luther et d’Érasme que de Buckingham et de Rochester. Le scepticisme dialectique glace bien souvent le libertinage effréné. Avec un personnage ainsi fait quel drame serait possible ? L’action, l’entraînement, se peuvent-ils concilier avec ce perpétuel retour sur soi-même qui concentre la meilleure partie de la vie dans le domaine de la conscience ? Quand le don Juan anglais sort des bras d’une femme, ce n’est point pour se plaindre de n’avoir pas trouvé le bonheur qu’il espérait, c’est pour railler le dénouement de l’aventure. Il ne brise pas le miroir où il a vu l’image de son impuissance ; il se contente de le ternir du souffle de son ironie. C’est pourquoi le don Juan de Byron n’est pas celui de Mozart.

Hoffman a vu plus avant que Molière et Byron dans l’ame de don Juan ; il a donné de ce type poétique une interprétation savante et neuve ; le premier il a vu, dans la vie aventureuse de ce libertin grand seigneur, la lutte de la vie morale et de la vie matérielle. Dans les quelques pages qu’il a écrites sur le chef-d’œuvre de Mozart, il explique nettement pourquoi don Juan n’est pas un débauché vulgaire. L’inconstance, loin d’être une violation avilissante des engagemens les plus sacrés, n’est que la perpétuelle poursuite d’un idéal irréalisable. Si don Juan flétrit dona Elvira, dona Anna et Zerlina, ce n’est pas seulement pour le plaisir d’une heure, c’est pour atteindre un bonheur qu’il a rêvé et qu’il ne doit pas connaître. Chaque fois qu’il renonce à ses amours de la veille, c’est qu’il espère trouver dans ses amours du lendemain une ivresse plus durable où noyer le souvenir des jours déjà dévorés. La lutte qu’il a commencée contre les hommes et les choses n’est pas seulement la lutte de l’athéisme et du mépris contre la croyance et le dévouement, c’est le combat de l’espérance défaillante contre la réalité, du cœur inapaisable rassasié des plaisirs qui tarissent et cherchant les plaisirs qui ne tariront pas. C’est le duel de l’homme qui veut être Dieu contre la création jalouse qui limite sa puissance et se raille de ses efforts, c’est le siège d’une cité im-