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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/691

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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

pressions qu’il reçoit dans le cours de son rôle, et se modifie selon le caractère des antagonistes qu’il doit combattre. Il est rapide, animé, insolent, quand il met l’épée à la main pour tuer le commandeur. Quand il répond aux apostrophes de dona Anna, il est grave, fier, mais pourtant respectueux ; il ne la traite pas en femme vulgaire ; il veut lui imposer par son courage et sa contenance ; il vient de jouer sa vie pour payer l’insulte qu’il lui a faite, et l’émotion de sa voix témoigne assez de la partie mortelle qu’il vient de soutenir. En présence de dona Elvira, il est dédaigneux ; on sent qu’il a hâte de se débarrasser de ses pleurs dont il n’a que faire. Avec Zerlina, c’est autre chose ; il veut la séduire et l’enjôler, il se fait mignard et précieux, il veut l’éblouir par ses complimens et ses promesses ; sa voix devient douce et lente pour le mensonge et la trahison, comme tout à l’heure elle était hautaine avec le commandeur.

Don Ottavio, efféminé, amoureux de lui-même, ayant à venger une maîtresse qui vaut mieux que lui, une femme qu’il aime, mais qu’il ne comprend pas, témoigne de sa faiblesse par la manière dont il exprime son dévouement. Il veut punir celui qui a souillé sa fiancée, mais on sent à sa voix tremblante qu’il espère plus en Dieu qu’en son bras.

Mazetto, par sa franche rudesse, par sa colère bourgeoise, révèle dans le musicien une richesse de simplicité qui contraste heureusement avec les rôles précédens. — Quant à Leporello, sa verve railleuse, ses craintes pour son maître, et son mépris pour les femmes que don Juan a trahies, son étonnement respectueux pour les aventures qu’il raconte, et sa superstition tremblante quand vient l’heure du châtiment, Mozart n’a rien épargné pour les exprimer. Leporello est le digne confident du maître qui le traîne à sa suite.

Ce n’est pas tout, outre la précision des couleurs, Mozart possède aussi une remarquable précision de style. Quand sa phrase s’arrête, c’est qu’elle ne peut aller plus loin. Il évite avec un soin égal la sécheresse et la redondance ; il exprime d’une idée tout ce qu’elle contient, mais il ne l’épuise pas ; il ne franchit jamais les limites nécessaires du développement ; il renonce délibérément aux effets qu’il pourrait encore produire pour assurer le succès de