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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

au couvent ; avec quelques pensionnaires les plus sages, et comme récompense, elle allait à cet hôpital tous les lundis soirs servir les pauvres et leur faire la prière. Elle perdit de bonne heure ses parens ; les souvenirs du couvent furent ses souvenirs de famille ; cette éducation première influa, nous le verrons, sur toute sa pensée, et chacun de ses écrits en retrace les vives images. Mariée, logée au Louvre, elle dut l’idée d’écrire à l’ennui que lui causaient les discussions politiques de plus en plus animées aux approches de la révolution ; elle était trop jeune, disait-elle, pour prendre goût à ces matières, et elle voulait se faire un intérieur. Dans le roman d’Émilie et Alphonse la duchesse de Caudale, récemment mariée, écrit à son amie Mlle d’Astey : « Je me suis fait une petite retraite dans un des coins de ma chambre ; j’y ai placé une seule chaise, mon piano, ma harpe, quelques livres, une jolie table sur laquelle sont mes desseins et mon écritoire ; et, là, je me suis tracé une sorte de cercle idéal qui me sépare du reste de l’appartement. Vient-on me voir ? je sors bien vite de cette barrière pour empêcher qu’on y pénètre ; si par hasard on s’avance vers mon asile, j’ai peine à contenir ma mauvaise humeur ; je voudrais qu’on s’en allât. » Mme de Flahaut, en sa chambre du Louvre, dut se faire une retraite assez semblable à celle de Mme de Caudale, d’autant plus qu’elle avait dans son isolement une intimité toute trouvée. Si on voulait franchir son cercle idéal, si on lui parlait politique, elle répondait que M. de Sénange avait eu une attaque de goutte, et qu’elle en était fort inquiète. Dans Eugénie et Mathilde, où elle a peint l’impression des premiers événemens de la révolution sur une famille noble, il est permis de lui attribuer une part du sentiment de Mathilde, qui se dit ennuyée à l’excès de cette révolution, toutes les fois qu’elle n’en est pas désolée. Adèle de Sénange fut donc écrite sans aucun apprêt littéraire, dans un simple but de passe-temps intime. Un jour pourtant, l’auteur, cédant à un mouvement de confiance qui lui faisait lever sa barrière idéale, proposa à un ami d’arranger une lecture devant un petit nombre de personnes ; cette offre, jetée en avant, ne fut pas relevée ; on lui croyait sans peine un esprit agréable mais non pas un talent d’écrivain. Adèle de Sénange se passa ainsi d’auditeurs ; on sait que Paul et Virginie avait eu grand’peine à en trouver. La révolution parcou-