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mais, sans m’en laisser le temps, il se mit à parler lui-même avec un sang-froid si impudent, qu’à moins d’appeler mes gens, il m’eût été impossible de le mettre à la porte. Il était décidé à ne rien comprendre. — Je vois, madame, me dit-il d’un air d’intérêt hypocrite, que vous êtes informée de la situation fâcheuse où se trouve le baron. Soyez sûre que mes faibles ressources sont à sa disposition ; c’est malheureusement bien peu de chose pour contenter la prodigalité d’un caractère si magnifique. Ce qui me console, c’est qu’il est courageux, entreprenant, ingénieux. Il a refait plusieurs fois sa fortune ; il la relèvera encore. Mais vous aurez à souffrir, vous, madame, si jeune, si délicate, et si digne d’un meilleur sort ! C’est pour vous que je m’afflige profondément des folies de Leoni et de toutes celles qu’il va encore commettre avant de trouver des ressources. La misère est une horrible chose à votre âge, et quand on a toujours vécu dans le luxe…

Je l’interrompis brusquement, car je crus voir où il voulait en venir avec son injurieuse compassion. Je ne comprenais pas encore toute la bassesse de ce personnage.

Devinant ma méfiance, il s’empressa de la combattre. Il me fit entendre, avec toute la politesse de son langage subtil et froid, qu’il se jugeait trop vieux et trop peu riche pour m’offrir son appui, mais qu’un jeune lord immensément riche, qui m’avait été présenté par lui et qui m’avait fait quelques visites, lui avait confié l’honorable message de me tenter par des promesses magnifiques. Je n’eus pas la force de répondre à cet affront ; j’étais si faible et si abattue, que je me mis à pleurer sans rien dire. L’infâme Chalm crut que j’étais ébranlée, et, pour me décider entièrement, il me déclara que Leoni ne reviendrait point à Venise, qu’il était enchaîné aux pieds de la princesse Zagarolo, et qu’il lui avait donné plein pouvoir de traiter cette affaire avec moi.

L’indignation me rendit enfin la présence d’esprit dont j’avais besoin pour accabler cet homme de mépris et de confusion. Mais il fut bientôt remis de son trouble. — Je vois, madame, me dit-il, que votre jeunesse et votre candeur ont été cruellement abusées, et je ne saurais vous rendre haine pour haine, car vous me méconnaissez et vous m’accusez ; moi, je vous connais et vous estime. J’aurai, pour entendre vos reproches et vos injures, tout le