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POÈTES FRANCAIS.

nique dans ses actes ou dans ses aveux. Cette faculté d’indignation honnête, ce sens d’énergie palpitante et involontaire que rien n’attiédit, et qui se fait jour, après des intervalles, à travers le factice des diverses positions, est une marque distinctive de certaines ames valeureuses, et constitue une forte portion de leur moralité. On aime à retrouver ce ressort chez des hommes également haut placés, chez M. de Lamennais comme chez M. de Chateaubriand. Dans le jeune parti républicain, M. Carrel est l’organe d’un sentiment non moins vivace et incorruptible.

Religieusement, il ne tombe plus à l’esprit de personne de chicaner M. de Chateaubriand sur quelques désaccords qui pouvaient faire le triomphe et la jubilation de l’abbé Morellet, de Ginguené, de Marie-Joseph Chénier. Ces honorables représentans ou héritiers du xviiie siècle ne soupçonnaient pas la grande révolution morale qui allait s’opérer dans les esprits des générations naissantes. M. de Chateaubriand en a donné l’éclatant signal. Le premier, il s’est retourné contre le xviiie siècle et lui a montré le bouclier inattendu, éblouissant de lumière, et dont quelques parties étaient de vrai diamant. Si tout, dans ce brillant assaut, n’était pas également solide, si les preuves qui s’adressaient surtout à des cœurs encore saignans et à des imaginations ébranlées par l’orage ne suffisent plus désormais, l’esprit de cette inspiration se continue encore ; c’est à l’œuvre et au nom de M. de Chateaubriand que se rattache le premier anneau de cette renaissance. Et pour ce qui est des contradictions, des luttes, des alternatives entre cet esprit chrétien une fois ressaisi et le monde avec ses passions, ses doutes et ses combats, qui de nous ne les a éprouvées en son cœur ? qui de nous, au lieu de prétendre accuser et prendre en défaut la sincérité de celui qui lit René, n’admirera, ne respectera en lui ce mélange de velléités, d’efforts vers ce qu’on a besoin de croire, et de rentraînemens vers ce qui est difficile à quitter ? M. de Chateaubriand, qui a eu l’initiative en tant de choses, l’a eue aussi par ses orages intérieurs et par les vicissitudes de doute et de croyance qui sont aujourd’hui le secret de tant de jeunes destinées. « Quand les semences de la religion, dit-il en un endroit de ses Mémoires, germèrent la première fois dans mon âme, je m’épanouissais comme une terre vierge qui, délivrée de ses ronces, porte sa première moisson.