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LEONE LEONI.

avec lui en Suisse, et tu me pressais dans tes bras avec passion. Il m’eût été bien facile alors d’abuser de ton erreur, et l’amour qui s’allumait dans mon sein me faisait de tes caresses insensées un véritable supplice. Mais je serais mort plutôt que de succomber à mes désirs, et la fourberie de lord Edwards, dont tu parlais sans cesse, me semblait la plus déshonorante infamie qu’un homme pût commettre. Enfin, j’ai eu le bonheur de sauver ta vie et ta raison, ma pauvre Juliette ; depuis ce temps j’ai bien souffert et j’ai été bien heureux par toi. Je suis un fou peut-être de ne pas me contenter de l’amitié et de la possession d’une femme telle que toi, mais mon amour est insatiable. Je voudrais être aimé comme le fut Leoni, et je te tourmente de cette folle ambition. Je n’ai pas son éloquence et ses séductions, mais je t’aime, moi. Je ne t’ai pas trompée, je ne te tromperai jamais. Ton cœur, long-temps fatigué, devrait s’être reposé à force de dormir sur le mien. Juliette ! Juliette ! quand m’aimeras-tu comme tu sais aimer !

— À présent, et toujours, me répondit-elle ; tu m’as sauvée, tu m’as guérie et tu m’aimes. J’étais une folle, je le vois bien, d’aimer un pareil homme. Tout ce que je viens de te raconter m’a remis sous les yeux des infamies que j’avais presque oubliées. Maintenant je sens plus que de l’horreur pour le passé, et je ne veux plus y revenir. Tu as bien fait de me laisser dire tout cela, je suis calme, et je sens bien que je ne peux plus aimer son souvenir. Tu es mon ami, toi ; tu es mon sauveur, mon frère et mon amant…

— Dis aussi ton mari, je t’en supplie, Juliette !

— Mon mari si tu veux, dit-elle en m’embrassant avec une tendresse qu’elle ne m’avait jamais témoignée aussi vivement, et qui m’arracha des larmes de joie et de reconnaissance.


Je me réveillai si heureux le lendemain, que je ne pensai plus à quitter Venise. Le temps était magnifique, le soleil était doux comme au printemps. Des femmes élégantes couvraient les quais, et s’amusaient aux lazzi des masques qui, à demi couchés sur les rampes des ponts, agaçaient les passans et adressaient tour à tour des impertinences et des flatteries aux femmes laides et jolies. C’était le mardi gras, triste anniversaire pour Juliette. Je désirai la distraire, je lui proposai de sortir, et elle y consentit.