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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/32

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REVUE DES DEUX MONDES.

soldats y étaient incomparablement mieux que les capitaines des autres corps, qu’on y jouissait d’une société fort agréable en hommes et en belles dames, et qu’on y faisait beaucoup de musique, et surtout qu’on appréciait fort ceux qui jouaient du piano. Cette dernière circonstance me décida.

Le lendemain j’avais donc l’honneur d’être soldat au Royal-Auvergne. C’était un assez beau corps, il est vrai, mais je ne voyais plus ni Pierrette ni monsieur le curé. Je demandai du poulet à dîner, et l’on me donna à manger cet agréable mélange de pommes de terre, de mouton et de pain qui se nommait, se nomme et sans doute se nommera toujours la ratatouille. On me fit apprendre la position du soldat sans armes avec une perfection si grande, que je servis de modèle depuis au dessinateur qui fit les planches de l’ordonnance de 1791, ordonnance qui, vous le savez, mon lieutenant, est un chef-d’œuvre de précision. On m’apprit l’école du soldat et l’école du peloton de manière à exécuter les charges en douze temps, les charges précipitées et les charges à volonté, en comptant ou sans compter les mouvemens, aussi parfaitement que le plus raide des caporaux du roi de Prusse Frédéric-le-Grand, dont les vieux se souvenaient encore avec l’attendrissement de gens qui aiment ceux qui les battent. On me fit l’honneur de me promettre que si je me comportais bien, je finirais par être admis dans la première compagnie de grenadiers. — J’eus bientôt une queue poudrée qui tombait sur ma veste blanche assez noblement, mais je ne voyais plus jamais ni Pierrette, ni sa mère, ni monsieur le curé de Montreuil, et je ne faisais point de musique.

Un beau jour, comme j’étais consigné à la caserne même où nous voici, pour avoir fait trois fautes dans le maniement d’armes, on me plaça dans la position des feux du premier rang, un genou sur le pavé, ayant en face de moi un soleil éblouissant et superbe que j’étais forcé de coucher en joue, dans une immobilité parfaite jusqu’à ce que la fatigue me fit ployer les bras à la saignée, et j’étais encouragé à soutenir mon arme par la présence d’un honnête caporal, qui de temps en temps soulevait ma baïonnette avec sa crosse quand elle s’abaissait ; c’était une petite punition de l’invention de M. de Saint-Germain.

Il y avait vingt minutes que je m’appliquais à atteindre le plus