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LA VEILLÉE DE VINCENNES.

haut degré de pétrification possible dans cette attitude, lorsque je vis au bout de mon fusil la figure douce et paisible de mon bon ami Michel, le tailleur de pierres.

— Tu viens bien à propos, mon ami, lui dis-je, et tu me rendrais un grand service si tu voulais bien, sans qu’on s’en aperçût, mettre un moment ta canne sous ma baïonnette. Mes bras s’en trouveraient mieux, et ta canne ne s’en trouverait pas plus mal.

— Ah ! Mathurin ! mon ami, me dit-il, te voilà bien puni d’avoir quitté Montreuil, tu n’as plus les conseils et les lectures du bon curé, et tu vas oublier tout-à-fait cette musique que tu aimais tant, et celle de la parade ne la vaudra certainement pas.

— C’est égal, dis-je en élevant le bout du canon de mon fusil et le dégageant de sa canne, par orgueil, c’est égal, on a son idée.

— Tu ne cultiveras plus les espaliers et les belles pêches de Montreuil avec ta Pierrette qui est bien aussi fraîche qu’elles, et dont la lèvre porte aussi comme elles un petit duvet.

— C’est égal, dis-je encore, j’ai mon idée.

— Tu passeras ici bien long-temps à genoux à tirer sur rien avec une pierre de bois avant d’être seulement caporal.

— C’est égal, dis-je encore, si j’avance lentement, toujours est-il vrai que j’avancerai, — tout vient à point à qui sait attendre, — comme on dit, et quand je serai sergent je serai quelque chose, et j’épouserai Pierrette. Un sergent c’est un seigneur, et — à tout seigneur tout honneur. —

Michel soupira.

— Ah ! Mathurin ! Mathurin ! me dit-il, tu n’es pas sage et tu as trop d’orgueil et d’ambition, mon ami. N’aimerais-tu pas mieux être remplacé si quelqu’un payait pour toi, et venir épouser ta petite Pierrette ?

— Michel, Michel, lui dis-je, tu t’es beaucoup gâté dans le monde, je ne sais pas ce que tu y fais, et tu ne m’as plus l’air d’y être maçon, puisqu’au lieu d’une veste, tu as un habit noir de taffetas. Mais tu ne m’aurais pas dit ça dans le temps où tu répétais toujours : il faut faire son sort soi-même. — Moi, je ne veux pas l’épouser avec l’argent des autres, et je fais moi-même mon sort, comme tu vois. — D’ailleurs c’est la reine qui m’a mis ça dans la