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moindre corsaire, le plus misérable bateau pêcheur, à l’aide de quelques fusils, d’un ou deux pierriers, aurait donc triomphé facilement de la frégate et du cutter, à peu près aussi maltraité qu’elle ? Tout était devenu à craindre, et le vent, et la mer, et le plus faible ennemi. Que d’angoisses, que d’anxiétés au cœur de Du Couëdic ! Elles le déchiraient plus douloureusement que la sonde et le trépan aux mains des chirurgiens.

L’heure arriva de la prière du soir, prière à laquelle on ne manquait jamais alors sur les vaisseaux de guerre ; en ce moment, sur le pont couvert de morts, de mourans et de blessés, au milieu de tant de périls, pour ces hommes que quelques poignées d’étoupe défendaient seules contre l’abîme, elle dut avoir plus de solennité que de coutume. Anglais et Français l’écoutèrent avec un égal recueillement. Lorsqu’elle fut terminée, l’équipage, debout ou couché sur le pont, laissa de nouveau errer des yeux inquiets sur l’immensité, prêtant l’oreille au moindre bruit, guettant l’apparition de la plus faible lumière. Long-temps la lueur phosphorescente des flots fut la seule clarté qui se fit voir ; long-temps le sifflement des vents, le bruissement monotone de la vague aux flancs du navire, furent les seuls bruits qui se firent entendre. Mais tout à coup, de l’avant de la frégate, un cri s’élève : « Terre ! terre ! » C’était l’île d’Ouessant, alors à cinq lieues au sud, qu’annonçait un faible point lumineux. Peu d’instans après on vit se diriger vers la frégate grand nombre de bateaux pêcheurs qui, ayant appris le matin, par le bruit du canon, le combat qui se livrait, croisaient depuis lors à quelques lieues de la côte. Au point du jour, ils entouraient la frégate par centaines.

Dix de ces bateaux, les meilleurs et les plus forts, choisis par Dufresneau, furent employés à donner la remorque à la Surveillante, et à l’Expédition qui en avait elle-même presque autant besoin. Le convoi fut dirigé vers la rade de Camaret. Là arriva aussi, presque en même temps, une corvette expédiée la veille par le commandant de la marine, que les signaux de la côte avaient instruit de l’état de détresse d’un bâtiment français. La corvette était amplement pourvue de matériaux, d’ouvriers et d’outils pour les réparations urgentes ; elle portait en outre suffisante quantité de charpie et de médicamens de toutes sortes pour les blessés. Le commandant de