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Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/504

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REVUE DES DEUX MONDES.

mon palais à votre tombe. Les danses étaient divines, on eût dit que les groupes fantastiques de maître Hans Holbein avaient fait le voyage d’Espagne exprès pour nous divertir cette nuit. À vrai dire, la musique était parfois triste et lamentable, et je doute que nos belles dames de Burgos pussent danser en mesure sur un pareil menuet ; mais n’importe, ces chants graves et solennels m’ont ému jusque dans les entrailles, et je veux à l’avenir hanter les cathédrales afin de les entendre encore. À présent que tout est rentré dans le silence, je vais te dire adieu, mon hôte, jusqu’au jour où ton bon plaisir sera de couronner de marguerites tes danseuses et tes chanteurs, et de renouveler pour moi toute cette étrange comédie.

Le Commandeur.

Ce jour ne viendra pas de long-temps : les hôtes de ma fête ont cueilli, pour se parer, toutes les fleurs de mon jardin, et je dois attendre, pour te recevoir, que le soleil en fasse éclore de nouvelles. Mais pourquoi te retirer déjà ? Il est à peine minuit, et je me souviens de t’avoir rencontré sur la place de Burgos passé deux heures.

Don Juan.

Le ciel était morne et sans étoiles.

Le Commandeur.

On aurait pu croire le contraire à la promptitude avec laquelle tu fis tomber la lampe de mes mains.

Don Juan.

Je ne voulais pas être reconnu. La lumière de nos épées suffisait pour éclairer le duel. Je me suis bien comporté cette nuit-là, commandeur, et tu as eu tort de me garder rancune ; car si je n’avais pas déchiré la misérable guenille qu’on appelait ton corps dans ce temps-là, du diable si tu serais aujourd’hui si vaillamment habillé. Ta tête branlerait et serait chauve, et tu servirais de risée à tes petits-enfans. Rends-moi grâce, commandeur, car le Père éternel t’aurait peut-être encore laissé dix ans ta robe de misère sur les épaules, si don Juan ne fût venu la mettre en pièces et le forcer ainsi, le vieil avare, à t’en donner une autre toute neuve. Et maintenant te voilà recouvert de marbre pour l’éternité, heureux homme ! Désormais tu n’as plus à t’occuper la veille de ton costume