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REVUE DES DEUX MONDES.

fois c’est avec lui-même que j’entends souper, et que s’il lui prend fantaisie encore de m’inviter, je n’accepterai pas, moi, s’il ne me promet d’assister au banquet et de me donner ensuite quatre légions d’anges et de vierges pour me reconduire en mon palais.

Le Commandeur.

Reste encore une heure avec moi.

Don Juan.

Crois-tu donc, vieux commandeur, que je n’aie autre chose à faire qu’à tenir compagnie à des morts ? Il y a là bas de belles filles qui m’attendent et que je vais trouver.

Le Commandeur.

Reste, don Juan, car c’est la volonté de Dieu.

Don Juan.

Non, te dis-je, quand ce serait celle du diable.

Le Commandeur.

Reste !

Don Juan.

Malédiction ! encore ta main de pierre !

Le Commandeur.

Repens-toi, repens-toi, la trompette des chérubins a sonné sa fanfare, les voix de la terre ont répondu, l’heure du jugement est arrivée. Écoute : lorsque le condamné quitte sa prison pour marcher à l’échafaud, un prêtre l’assiste et l’accompagne ; ainsi j’ai fait pour toi, don Juan. Du haut de mon cheval de marbre, j’ai vu passer la Mort sur la grande route, elle m’a dit qu’elle avait hâte, et se dirigeait vers ta maison. Alors je me suis souvenu de tes débauches et de tes nuits maudites, et je n’ai pas voulu te laisser paraître devant Dieu sans avertissement ; j’ai donné de l’éperon dans les flancs de mon coursier, et bien que nous soyons tous les deux de pierre, nous avons devancé la Mort, car elle chemine à pied ; et comme il y a loin d’ici à ton palais, elle se sera sans doute arrêtée en quelque hôtellerie. N’importe, à cette heure elle est chez toi qui te cherche parmi tes courtisanes et tes valets. Il me semble la voir courir en insensée à travers tes vastes galeries, descendre dans la rue, entrer dans tous les mauvais lieux, ouvrir