Sois en repos, commandeur, la fille rejoindra son père qui est dans le ciel.
Courage, don Juan, la montagne est rude à gravir pieds nus. Écoute : à deux cents pas de ce monument, si tu rencontres ta mère tout en larmes, souviens-toi des six stations de Jésus-Christ, descends de ton cheval, réchauffe ses mains à ta poitrine et couvre-la de ton manteau. Essaie de la consoler ; si tu ne le peux, pleure avec elle, ensuite lave ses pieds ; demande-lui sa bénédiction et va t’agenouiller au sanctuaire. Il est inutile que je t’apprenne ici dans quels lieux tu feras les autres stations, don Juan ; les ames qui veulent se dévouer n’ont pas besoin qu’on leur enseigne le chemin du Calvaire. Courage, ne te laisse pas rebuter ; songe que le Christ fut couronné d’épines avant de rencontrer la Vierge qui lui donna son voile. (Les statues chantent au dehors le Gloria in excelsis.)
Étrange concert ! est-ce que je rêve ? est-ce que le ciel fait jouer pour moi toutes ses orgues ?
Don Juan, tu veilles et ne peux entendre encore la musique des sphères. Quoi donc ! ne reconnais-tu pas les chantres de cette nuit ?
Ah ! oui, les statues de ton enclos, j’ai peine à concevoir comment ces voix funèbres ont pu devenir si glorieuses. Quelles intonations puissantes ! quel bonheur de faire tant de bruit dans la nature ! céleste musique ! célestes chanteurs ! La lune sans doute les avait enroués hier au soir, et le soleil leur rend la voix en même temps qu’aux oiseaux et qu’aux moissons.
Veux-tu savoir tout le mystère, don Juan ? Hier au soir les statues chantaient la prose des morts, et ce matin elles entonnent l’hymne de gloire et de résurrection.
C’est donc moi qui suis le ressuscité ?