senter les anges du paradis et les grandes familles de ce monde. Ils ont accompli dignement leur tâche ; puis, croisant leurs bras, se sont endormis sous la terre après avoir tant élevé pour les autres de sépulcres de marbre et de granit. Aujourd’hui, nul n’est épris de l’amour des grandes choses, on ne croit plus à la vie éternelle. Les hommes qui nous ont succédé laissent reposer la chair de leurs corps, au lieu de la travailler, afin qu’elle se convertisse en marbre quelque jour. Les cathédrales sont pleines, et j’ai vu des saints à genoux au grand air, faute de trouver place dans une chapelle. D’un autre côté les grandes familles disparaissent, qu’est-il besoin de statuaire ? Les actions glorieuses de nos aïeux, voilà le vrai marbre dont on faisait une statue impérissable ; aujourd’hui la carrière est épuisée, nos aïeux sont tous morts, qu’est-il besoin de ciseaux et d’instrumens, la matière manque. Hélas ! hélas ! l’amour de l’or a remplacé la foi, toutes les têtes se tournent vers le nouveau soleil qui féconde le vice, et développe et sèche avant le temps la belle fleur de l’ame. Autrefois les artistes travaillaient en famille et ne s’éloignaient pas de leur maison. Ils passaient quarante ans de leur vie à bourdonner comme des abeilles autour d’un bloc de marbre, et s’ils sortaient par hasard de la ville, c’était pour accompagner quelque statue de leur atelier dans la cathédrale qu’elle devait habiter. Maintenant ils se font aventuriers et débauchés, ils savent manier l’épée et le poignard, courent le monde, et vont en Italie, attirés non par le bruit des cloches de Saint-Pierre de Rome, mais, hélas ! par le son des piastres de Venise. Là de gros marchands bien repus d’or et de vanité commandent pour leurs festins des plats d’argent et de vermeil, et les fils de nos statuaires, plutôt que d’aller pieds nus, font le métier de ciseleurs, et sculptent sur des vases de métal ce que leurs aïeux taillaient en pierre sur les murailles des cathédrales. Ô profanation et sacrilège ! les beaux chérubins catholiques déchus de leurs vitraux dansent une ronde avec des satyres païens, et tout cela pour réjouir un marchand de Venise ! Corruption ! mon Dieu, corruption ! vous faites plus que le comte Ugolin qui mangeait le crâne de ses ennemis, ô marchands de Venise, vous qui dans vos repas dévorez avec indifférence l’ame et l’esprit de nos artistes ! — Cependant il se trouve encore des statuaires en Espagne, et dans le nombre on peut compter Bonifacio qui demeure
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