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LA BELLA MALCASADA.

elle d’une voix moins entrecoupée, mon rang et ma qualité sont tels, que je ne les puis risquer et compromettre légèrement en des mains peu sûres. Or, quel soin prendriez-vous de mon honneur, vous qui êtes si insoucieux de votre bonne renommée ? Comment se fier à qui, méconnaissant le prix inestimable du temps, ne s’applique qu’à le perdre en futilités, en dissipations et en désordres ? Pour être digne d’un haut choix, ce n’est pas assez d’être noble et cavalier. Aux mérites brillans, il en faut joindre aussi de solides. Vous êtes bien fait et de bon air, je ne vous l’apprends point, n’est-ce pas ? Plût au ciel que votre ame et votre esprit eussent toutes les perfections de votre personne ! Mais, loin de là. Vous êtes vif et emporté d’abord ; il n’y a pas de jour où vos gens n’aient à souffrir de vos emportemens et de vos colères ; la moindre chose vous irrite et vous enflamme. C’est mal, don Andres. Un homme bien né, si mécontent et offensé qu’il soit, ne doit point se laisser entraîner au-delà des bornes. Convenez-en. Est-ce que ces mouvemens furieux ne sont pas pour effrayer un cœur épris ? L’amour, mon ami, ne veut point de ces gouvernemens impérieux. C’est un enfant, voyez-vous ; on le maîtrise mieux par la douceur et les caresses que par la force et la violence.

Mais venons à d’autres points. Quelle façon de vivre, dites-moi, est la vôtre ? Le dérèglement de vos habitudes est inexprimable. Avez-vous donc pris à tâche de changer le cours naturel du temps ? Vous faites des nuits les jours, et des jours les nuits ! Il n’y a point d’heures pour vous. Vous vous couchez le matin et vous vous levez à la sieste. Les momens de vos repas sont incertains et désordonnés comme ceux de votre sommeil et de vos veilles. Les livres, si vous les prenez, c’est justement lorsque vous sortez de table, c’est-à-dire lorsque l’étude est pernicieuse et tenue pour poison par les sages eux-mêmes. Enfin, il n’est pas une de vos actions qui ne soit hors de saison et de place. Vous avez disposé votre vie au rebours de celle de tous les autres. Vous ne gardez d’ordre ni de mesure en rien. Or, sans parler du préjudice qu’une telle conduite apporte aux intérêts et aux affaires, quelle santé robuste n’en serait atteinte et altérée ?

Je ne vous ai cependant énuméré encore, don Andres, que vos plus légers torts, ceux dont le remède est facile, et auxquels votre âge est d’ailleurs une suffisante excuse. Mais vous avez, mon Dieu ! des défauts bien autrement graves. Vous êtes joueur, vous êtes libertin ! Je n’ose, moi, entrer en ces détails de vos débordemens ; mais ce ne sont plus là des erreurs de jeunesse, mon ami : ce sont des vices, et des vices grossiers et sans amabilité, qui ruinent tout ensemble l’esprit, le corps, l’âme et la fortune. Et puis, voyons, si une dame était assez imprudente pour compter être