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Salluste mourut à cinquante et un ans, sous le consulat de Cornificius et du jeune Pompée, durant l’année 718 de la république. Rien depuis la mort de César n’avait troublé son repos et son génie ; Rome n’aurait pas permis que le grand écrivain dont elle attendait les plaisirs et la gloire nouvelle de l’histoire ne fût pas respecté.

C’était en effet le premier historien des lettres romaines. Avant lui, l’histoire n’était guère autre chose qu’une série d’annales, annalium confectio[1]. Avaient paru ensuite Caton, Pictor et Pison, puis Antipatre qui s’éleva un peu, paululum se erexit[2], jusqu’à ce qu’enfin Salluste, avec un incomparable éclat, vint instaurer et consommer la véritable histoire politique. Chez les Grecs la chronique conteuse a brillé par Hérodote avant la sévérité de Thucydide ; Rome au contraire doit sur-le-champ à ses factions un historien politique que suivra le plus habile chroniqueur qui ait jamais été, Tite-Live. Des trois historiens romains, Tite-Live déroule sous l’empire d’Auguste les fastes de la république ; narrateur inépuisable, il conte les choses, c’est assez pour lui ; chroniqueur du passé, il n’a d’autre opinion politique que de vanter Pompée outre mesure. Le spirituel neveu de César tolérait en souriant ce pompéianisme, culte sans intelligence de souvenirs sans puissance. Tacite n’est pas tant l’historien de Rome que du genre humain, placé entre le monde antique et le monde moderne. Salluste est donc l’écrivain politique par excellence ; il appartient au parti démocratique ; il est mêlé à son siècle, il s’y déploie, il s’y compromet ; il agit pour mieux écrire plus tard ; il est l’ami de César, l’adversaire de Caton et de Pompée ; il est tribun passionné, préteur actif et habile ; il passe de la vie politique à l’histoire, de l’histoire à l’action ; il revient à l’occupation d’écrire pour partager l’immortalité de César après avoir joui de son amitié. Arrivant le premier au style de l’histoire, quel parti prit-il ? Il s’empara vivement de l’originalité latine pour se l’approprier ; il s’arma de la vieille langue pour être Romain le mieux qu’il pourrait ; il s’en fit un instrument étincelant et invincible, dont l’antiquité na-

  1. Cicéron, De Orat., lib. 2, cap. 12.
  2. Ibid.