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REVUE. — CHRONIQUE.

l’origine, acteur dans la révolution, il en est le contemporain assidu, le symbole perpétuel, la tradition vivante. Savez-vous à qui je ne puis m’empêcher de le comparer ? Ne vous étonnez pas trop : à Louis xiv. Le fils d’Anne d’Autriche, dans sa longue carrière, n’a vécu que pour être, aux yeux de la France, le type vivant de la monarchie, roi, rien que roi ; il est l’état, il est la France, naturellement, avec une majesté simple. Louis n’a pas l’originalité d’un Frédéric ou d’un Charles-Quint, il n’a que la grandeur de son rôle, mais il l’a tout entière, mais si bien mêlée à sa médiocrité personnelle, que la postérité ne cassera jamais le jugement de la France qui l’a nommé le grand roi. M. de Lafayette est peuple ; il ne s’appartient pas à lui-même, il appartient au peuple, il lui sourit, il l’aime ; sa vie est un rôle, mais sincèrement adopté, mais joué avec naturel, et qui sera soutenu jusqu’au bout sans efforts ! Comme il n’avait la vocation ni d’un Pitt ni d’un Napoléon, il est resté le serviteur des principes ; il ne ressemble à personne ; il est nouveau parce qu’il est toujours le même ; au milieu des révolutions il n’enfle ni sa voix ni son caractère ; il y porte la même sérénité qu’au milieu de sa famille. On chérit sa bonté, on vénère sa vertu, on aimerait à lui trouver du génie, mais on est tranquille sur son immortalité ; on est sûr que les petits-enfans de nos enfans confirmeront dans l’avenir le nom de grand citoyen. » Le général Lafayette avait dessein, dit-on, dans le cours de sa dernière maladie, de se faire transporter à la tribune, et là de lire une sorte de testament politique qui eût certainement rendu bien désintéressés les éloges que lui ont donnés après sa mort les journaux ministériels, mais les forces lui ont manqué pour le prononcer et pour le mettre par écrit. Il laisse quelques volumes de notes et de mémoires remplis de révélations et de détails bien curieux sur tous les personnages de ce temps. Ces papiers, déposés en des mains sûres et fidèles, seront livrés à la publicité.

Nous ne pensons pas que la minutieuse visite domiciliaire qui a été faite cette semaine dans la maison de M. Carrel, rédacteur en chef du National, et au bureau de ce journal, se rattache à cette circonstance ; mais, chemin faisant, on n’eût sans doute pas été fâché de mettre la main sur les mémoires du vieux général, qui pouvaient, par hasard, se trouver chez son jeune ami. M. Carrel était soupçonné, dit-on, d’entretenir une correspondance avec les journaux républicains des départemens. Cette correspondance existe en effet ; mais on pouvait se dispenser de fouiller la maison de M. Carrel pour la trouver. On peut la lire chaque jour dans les colonnes du National. Du reste, la commission de la chambre des pairs continue ses recherches, et les écrivains de la Tribune, arrêtés par ses ordres, sont toujours retenus en prison. On ne pense pas que l’instruction à Paris puisse être terminée avant le mois d’août.