Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/645

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
639
LE PAYS DE TRÉGUIER.

bon ami, mais ce n’est plus un seigneur redouté ; ils prennent avec lui les familiarités que se permettrait un vieux serviteur avec son maître. Je crois que beaucoup de ces tièdes catholiques mangeraient le vendredi une omelette au lard, sans avoir trop de peur d’être foudroyés. C’est surtout chez les maîtres d’école, les douaniers et les gardes-champêtres que se remarque cette légère tendance philosophique. Quoique bien peu de chose dans notre ordre constitutionnel, quoique bien profondément perdus dans les derniers tours de la bobine sociale, la loi athée a déteint sur ces fonctionnaires villageois à travers tous les rangs supérieurs. S’ils se confessent toujours et font leurs pâques, c’est autant par procédés pour monsieur le curé que par vives croyances. Ils n’en sont pas encore arrivés à comprendre l’Almanach de France ou à s’abonner au Journal des Connaissances utiles ; mais dans cent ans il se pourrait bien qu’ils lussent l’un et l’autre. En attendant, les Voltaire du canton commencent à se permettre quelques innocentes plaisanteries sur les saints les moins famés du calendrier, et même parfois quelques contes à demi rabelaisiens qui frisent étrangement l’irrévérence. Je n’oublierai jamais avoir entendu dans un cabaret de village, près de Pontrieux, une histoire de ce genre qui m’étonna par sa plaisante hardiesse. Je sortais alors du Léonnais où j’avais écouté la ballade du Drap Mortuaire et plusieurs autres traditions également empreintes d’une sombre dévotion ; je fus singulièrement surpris du contraste que présentait, avec ces dernières, le récit que j’entendais. Comme il peut donner une juste idée du degré d’émancipation religieuse auquel est arrivé le pays de Tréguier, je le reproduirai ici tel que je l’écrivis sous la dictée du narrateur qui n’était autre que le maître d’école de l’endroit.


HISTOIRE DE MOUSTACHE.

« Il y avait autrefois au bourg de Corlay un garçon qui s’appelait Moustache et qui était resté tout jeune orphelin. Il avait été recueilli chez son oncle, et il avait grandi là, séparé des enfans de la maison, car on ne l’aimait guère. Il faisait pauvre chère, et quand les autres mangeaient du far de blé noir, le plus souvent,