Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/648

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
642
REVUE DES DEUX MONDES.

que le coq chanta et que les jeunes filles virent assez clair pour trouver l’œillet de leur justin, la vieille vint frapper à la porte de la chambre rouge pour savoir si l’étranger vivait encore.

— Je vis, dit Moustache. Allez chercher tous les forgerons du pays et faites-les venir, car j’ai de l’ouvrage pour eux.

Cela fut fait comme il l’avait demandé. Quand tous les tappe-fers furent arrivés, Moustache posa son sac sur une enclume et leur dit :

— Maintenant, mes garçons, frappez là-dessus comme des aveugles, et ne vous étonnez pas du bruit qui en sortira.

Les forgerons se mirent donc à frapper, mais les diables moulus criaient comme des charrettes mal graissées et demandaient grâce. Moustache arrêta enfin les marteaux. Il entra en conversation avec ses prisonniers, et, après avoir fait avec eux un pacte pour qu’ils ne revinssent plus sur la terre tourmenter des chrétiens, il ouvrit le sac et les laissa aller. Le manoir ayant été ainsi délivré, Moustache épousa la jeune princesse.

Mais le bonheur dans ce monde est comme l’herbe en fleur des prairies ; c’est quand il est le plus vert et le plus odorant que la Providence le fauche. Au bout d’un an passé dans la jouissance de tout. Moustache mourut.

Cependant, une fois mort, il ne se déconcerta pas. Il se trouvait en face de deux chemins. L’un avait l’air difficile et plein d’épines, l’autre était une route royale, et il y passait autant de monde que s’il y eût eu quelque foire aux environs. Moustache, qui aimait ses aises et la société, prit la grande route. Il arriva tout droit à la porte de l’enfer. Il frappa : — Pan, pan !

— Qui est là ? demanda Belzébut.

— C’est moi, dit le trépassé, moi Moustache ! ouvrez.

— Au large ; cria le diable, nous ne voulons pas de Moustache. Vous êtes trop malin pour nous, mon garçon.

Moustache, qui avait tiré son bonnet brun en homme poli, le remit tranquillement, tourna le dos et retourna sur ses pas pour prendre le chemin plein d’épines. Il arriva à la porte du paradis. Il frappe encore : — Pan, pan ! — Saint Pierre mit la tête au guichet.

— C’est toi, Moustache, dit-il, que viens-tu chercher ici ?