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BELLA UNION.

la découverte de l’Amérique. Toutefois, ce n’est pas de cela qu’il s’agit en ce moment : mon intention n’est pas de faire de la morale, trop facile dans ce cas, mais de raconter, en ma qualité de témoin oculaire, à la suite de quels événemens les quatre Charruas ont fini par nous arriver à Paris.

Si ceux qui les faisaient chanter, sauter, courir et lancer le lazo, eussent su qu’ils avaient sous les yeux, dans la personne de ces quatre misérables, les derniers restes d’une nation qui a jadis occupé un territoire aussi vaste que les deux tiers de la France ; qui, pressée, refoulée de tous côtés par les Européens, a toujours su conserver sa liberté jusqu’au jour d’hier qu’elle a été entièrement exterminée, il est probable qu’un peu de compassion les eût saisis ; car toutes les ruines sont touchantes, si obscures soient-elles. En même temps que cette nation des Charruas ont disparu les débris d’une autre plus célèbre, de ces Guaranis dont les jésuites ont rendu le nom familier en Europe, et qui ont été long-temps un témoignage vivant de ce que peut l’esprit religieux réuni à un profond savoir-faire. Ces derniers joueront même dans mon récit un rôle plus important que les Charruas qui sont moins intéressans à tous égards.

On sait que les premières missions des jésuites dans ces parages, celles qu’on nomme encore aujourd’hui, mais improprement, Missions du Paraguay, furent établies à la fin du xvie siècle (1580) entre le Parana et l’Uruguay, dans l’endroit où ces deux fleuves, rapprochant leur cours, ne laissent entre eux qu’une étroite lisière. Le caractère doux de la nation des Guaranis qui habitaient ce beau pays, et de celles que les jésuites confondirent plus tard sous le même nom, se prêta sans peine au régime que ces pères voulurent établir. En peu d’années, vingt villages contenant une population d’environ cent cinquante mille ames s’élevèrent et devinrent le centre de cet empire sur lequel on a débité tant de fables. Non contens de ce succès, dès le commencement du xviie siècle, les jésuites passèrent sur la rive gauche de l’Uruguay et réunirent dans sept grands villages près de soixante-quinze mille Indiens Tapes qui prirent également le nom de Guaranis. Pour distinguer cet établissement du précédent, il reçut le nom de Sept Missions qu’il a toujours conservé depuis. Je passe sur le régime bien connu de ces établissemens, régime qu’on a condamné sans apprécier sa valeur relative, mais admirable dans ses effets, et dont l’histoire n’offre pas un second exemple. En 1752, lorsque l’Espagne et le Portugal envoyèrent sur les lieux, pour déterminer les limites de leurs territoires respectifs, une commission à laquelle nous devons la relation de d’Azzara qui en faisait partie, la première de ces puissances céda à l’autre les Sept Missions qui lui appartenaient en échange de la Colonia del Sacramento. Les jésuites s’opposèrent à cette transaction, et quoique vaincus