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vait un bassin où il les dépose, et où chacun va les prendre, à mesure qu’il en a besoin ?

Les crédits en librairie sont très longs. Ils s’étendent toujours au moins d’une année à l’autre, et très souvent ils vont jusqu’à dix-huit mois. Ainsi, par exemple, le compte des livres expédiés à partir de janvier 1834, ne sera réglé qu’à la foire de Pâques 1835. À la foire de Pâques donc, tous les éditeurs, libraires, marchands, arrivent du nord et du midi, de l’Autriche et de la Bavière, des grandes et petites villes. Chacun apporte son carnet, ce qu’il a reçu, ce qu’il a expédié ; le nom de ceux qui lui doivent, et de ceux à qui il doit. Les livres qu’il a vendus, il les paie, ceux qu’il n’a pas vendus, il les renvoie, et l’éditeur doit les reprendre[1]. La bourse s’ouvre. Les libraires se rassemblent. C’est un calcul d’addition et de soustraction. On échange le prix d’un ouvrage que l’on a vendu contre celui d’un autre que l’on a édité ; on emballe d’un côté son argent, de l’autre ses écrevisses, et en voilà pour une année. Cette fois, après leurs heures de travail, les libraires et écrivains allemands et étrangers, ayant à leur tête le savant Boetliger, le doyen actuel de tous les littérateurs, se réunissaient dans les salons de M. Brockhaus ; et ces soirées, ouvertes par la libéralité de l’un des plus riches et des plus actifs libraires de l’Allemagne, et où la science se mariait gaîment au commerce de la science, présentaient sans doute l’un des coups-d’œil les plus curieux que l’on eût vus depuis long-temps à Leipzig.

Après avoir expliqué quelle grande place le commerce de la librairie occupe dans cette ville, on concevra sans peine que le nombre des libraires y soit plus considérable qu’ailleurs. Et ce nombre est en effet hors de proportion avec ce que l’on retrouve dans les autres villes, hors de proportion surtout avec ce qui existe en Autriche et en Bavière, où la torpeur de la librairie semble accuser celle de l’esprit.

L’année dernière, à
Leipzig 
85 libraires publièrent 886 articles.
Berlin 
45
 
555
Vienne 
15
 
207
Stuttgardt 
12
 
292
  1. On a, pour désigner ces livres qui marchent ainsi à reculons, un nom très caractéristique : krebse (écrevisses). Les écrevisses littéraires, romans, nouvelles, brochures, etc., sont ordinairement mises en maculature peu après leur rentrée au logis ; les écrevisses de science restent encore quelque temps en magasin, après quoi, si elles ne marchent pas mieux, on les dépèce aussi pour en faire des enveloppes.