Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
IMPRESSIONS DE VOYAGES.

dit que c’était au pied de cette cabane que commençait la descente. Curieux de voir ce passage extraordinaire, et retrouvant mes jambes, fatiguées par trois heures de mauvais chemin, je hâtai le pas à mesure que j’avançais, si bien que j’arrivai en courant à la cabane.

Je jetai un cri, et fermant les yeux, je me laissai tomber en arrière.

Je ne sais si quelques-uns de mes lecteurs ont jamais connu cette épouvantable sensation du vertige, si, mesurant des yeux le vide, ils ont éprouvé ce besoin irrésistible de se précipiter ; je ne sais s’ils ont senti leurs cheveux se dresser, la sueur couler sur leur front, et tous les muscles de leur corps se tordre et se raidir alternativement, comme ceux d’un cadavre au toucher de la pile de Volta ; s’ils l’ont éprouvé, ils savent qu’il n’y a pas d’acier tranchant dans le corps, de plomb fondu dans les veines, de fièvre courant dans les vertèbres, dont la sensation soit aussi aiguë, aussi dévorante que celle de ce frisson, qui, dans une seconde, fait le tour de tout votre être ; s’ils l’ont éprouvé, dis-je, je n’ai besoin, pour leur tout expliquer, que de cette seule phrase : J’étais arrivé en courant jusqu’au bord d’un rocher perpendiculaire, qui s’élève à la hauteur de seize cents pieds au-dessus du village de Louëche ; un pas de plus, j’étais précipité.

Willer accourut à moi ; il me trouva assis, écarta mes mains que je serrais sur mes yeux, et me voyant près de m’évanouir, il approcha de ma bouche un flacon de kirchenwaser dont j’avalai une large gorgée ; puis, me prenant sous le bras, il me conduisit ou plutôt me porta sur le seuil de la cabane.

Je le vis si effrayé de ma pâleur, que, réagissant à l’instant même par la force morale sur cette sensation physique, je me mis à rire pour le rassurer, mais c’était d’un rire dans lequel mes dents se heurtaient les unes contre les autres, comme celles des damnés qui habitent l’étang glacé de Dante.

Cependant, au bout de quelques instans, j’étais remis. J’avais éprouvé ce qui m’est habituel en pareille circonstance, c’est-à-dire un bouleversement total de toutes mes facultés, suivi presque aussitôt d’un calme parfait. C’est que la première sensation appartient au physique qui terrasse instinctivement le moral, et la seconde