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UN VAISSEAU À LA VOILE.

c’est comme une création, une œuvre sortie d’une parole. Babylone se trouve-t-elle quelque peu gênée du fleuve immense qui gronde et se joue au milieu de ses immenses travaux, des ponts et des quais qu’elle se propose de bâtir, elle se baisse, le prend dans ses bras, et s’en va le porter dans ce lac qu’elle vient de creuser, et où il pourra désormais mugir et se débattre à son aise sans plus l’interrompre, tout puissant, tout impétueux qu’il soit. On dirait une prévoyante nourrice allant porter à quelques pas l’enfant mutin dont elle veut réparer ou orner à loisir la couche habituelle.

Tout entier à ces travaux, l’homme ne se hasarde point sur l’Océan. Si de temps à autre, et de loin en loin, l’histoire fait mention de quelques flottes, elles ne sont nullement en rapport avec les grands monumens, les gigantesques entreprises que nous avons cités. Ces flottes, en général, à la suite des armées, n’ont guère d’autre destination que celle de remonter les rivières et d’en favoriser le passage. La flotte de Darius, celle même d’Alexandre, se bornent à suivre les côtes, ouvrant des chemins qui doivent se refermer promptement derrière elles ; le sillage qu’elles ont tracé, bien vite effacé, ne deviendra point un fertile sillon destiné à se couvrir plus tard d’une riche moisson de nombreuses flottes et de hardis navigateurs. La flotte d’Alexandre, Alexandre lui-même, que sont-ce d’ailleurs, sinon de véritables, mais passagères apparitions du génie de l’Europe dans le monde de l’Orient ?

Quant à la pirogue même de l’Indou, c’est là un germe tombé dans un terrain où il ne doit pas prospérer. C’est un mot dont la signification, sublime peut-être, n’est comprise d’aucun de ceux qui l’écoutent. Aucune oreille n’entend cette voix qui, dans le bruissement des flots sur le rivage, appelle le navigateur vers d’autres rives encore inconnues, l’exhorte à prendre hardiment possession du vaste Océan.

La cosmographie des Indous trahit à chaque ligne toute l’ignorance, ou, pour mieux dire peut-être, toute l’indifférence de ces premiers habitans du monde sur la vraie forme de la terre, sur la situation respective de ses parties diverses. Faisant d’une montagne merveilleuse, qu’elle appelle le mont Mérou, la base et le soutien du monde, elle divise ce mont en plusieurs zones ou étages, qu’elle suppose habités par des êtres de différentes natures. L’homme oc-