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çà et là, du nord au midi, de l’est à l’ouest, déracinant, emportant peuples, nations et races, et les laissant ensuite accumulés au hasard les uns sur les autres : masse informe, bloc immense, d’où le législateur sait pourtant retirer aussitôt ces magnifiques empires de l’Inde, de la Perse, de l’Égypte, qui, à la distance des siècles, nous étonnent encore de leurs étranges et colossales proportions. Il les façonne sur un type, sur un modèle en dehors de nos propres conceptions. Il les pose, pour l’éternité, sur la base de ces institutions de granit, auxquelles tient encore de nos jours le peu de leurs débris que le temps n’a pas encore achevé de dévorer.

À ces siècles appartiennent encore les plus grands, les plus imposans monumens de l’art. C’est Babylone avec ses prodigieuses murailles revêtues de fantastiques et merveilleuses peintures, avec ses jardins suspendus, avec ses portes et ses ponts innombrables ; c’est Ninive avec ses quinze cents tours, qui s’en vont porter jusque dans les nues des murailles assez larges pour donner passage à trois chariots de guerre dont le roulement imitera celui du tonnerre ; ou bien Persépolis, qui se balancera sur d’innombrables colonnes de marbre blanc au sein de la plaine d’où elle est sortie ; ou bien encore Bactres, qui au sommet de sa montagne apparaîtra comme un diadème artistement taillé ; ce sera encore la vallée du Nil, qui, avec ses pyramides, ses obélisques, ses labyrinthes, ses lacs creusés de mains d’hommes, le grand nombre de ses villes industrieuses, peuplées, florissantes, apparaîtra elle-même comme une seule cité, comme un magnifique palais. La surface de la terre se couvre en tous lieux des œuvres de l’homme ; ce domaine où il vient d’entrer, on dirait qu’il se hâte de l’orner et de l’embellir, comme pour en mieux assurer sa prise de possession.

Dans cet empressement, il exécute de ses mains d’enfant des œuvres devant lesquelles pâliront et s’effaceront à jamais les œuvres des siècles suivans, en dépit de leurs arts savans et de la puissance de leurs machines. Le granit et la pierre semblent dociles et légers pour ses doigts encore novices, la nature n’a point encore appris à désobéir à ce souverain qui vient de lui être donné. Les pyramides s’élèvent dans une plaine de sable, loin de toute carrière, loin de tout rivage qui puisse fournir des pierres ou des rochers ;